EXAMEN EN PROCÉDURE D’URGENCE DU PROJET DE LOI PORTANT AMNISTIE : LE «PARDON» DE MACKY AU DÉFI DE LA JUSTICE DES VICTIMES !

06 - Mars - 2024

Le projet de loi n°05/2024 portant amnistie sera examiné aujourd’hui par l’Assemblée nationale. Proposée par le chef de l’Etat, pour « apaiser le climat politique et social, renforcer la cohésion nationale, et consolider le dialogue national… », cette loi est fortement décriée par des familles des victimes des manifestations politiques de mars 2021 à nos jours qui parlent de stratagème pour soustraire de la justice des personnes qui ont tué ou commis des bavures.

L’Assemblée nationale va examiner ce jour, en procédure d’urgence le projet de loi n°05/2024 portant amnistie. Annoncée par le chef de l’Etat, Macky Sall dans son discours lors de la cérémonie d’ouverture du dialogue national tenue le 26 et 27 février dernier et adoptée en Conseil des ministres du 28 février, cette loi a pour but « d’apaiser le climat politique et social, de renforcer la cohésion nationale, de consolider le dialogue national… ». Elle vise dans son champ d’action tous les faits, « susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024 tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ».

Toutefois, il faut dire que cette loi est loin de faire l’unanimité. Les familles des victimes des différentes manifestations politiques de mars 2021 à nos jours, des organisations de défenseurs des droits de l’homme comme la Section sénégalaise d’Amnesty international mais aussi des universitaires s’opposent à cette décision du chef de l’Etat qu’il qualifie de «prime à l’impunité ». Ils estiment que le président Macky Sall cherche à se protéger et protéger ses partisans impliqués dans les violences ayant conduit à la mort des jeunes Sénégalais, lors de ces manifestations, d’éventuelles poursuites judiciaires après son départ du pouvoir. En effet, alors que la justice sénégalaise peine à enclencher les enquêtes envisagées par les autorités sénégalaises pour faire la lumière sur toutes les victimes de ces manifestations, plusieurs actions judiciaires sont annoncées contre certains responsables du régime en place notamment pour torture et crimes contre l’humanité dans certains pays étrangers comme en France, au Canada, aux Usa mais aussi au niveau de la Cpi (Cour pénale internationale).

Un dossier de « 710 éléments-preuves portant sur des « exactions » déposé sur la table du procureur de la Cpi par Me Juan Branco

En conférence de presse à Paris, le 22 juin 2023 dernier, l’avocat français du maire de Ziguinchor et leader du parti Pastef dissout, Me Juan Branco, a dit avoir reçu « 4.500 éléments de preuve » dont « 710 éléments portant sur des « exactions » du pouvoir sénégalais, sélectionnés par son équipe, et contenus dans un document de 170 pages pour servir de support à la demande d’enquête à la CPI. Avec des vidéos et photos à l’appui, l’avocat avait engagé la responsabilité personnelle du président Macky Sall dans les exactions qu’il a qualifié de « crimes contre l’humanité commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique de la population civile » sénégalaise.

En effet, citant « la livraison de 104 tonnes d’armes à la présidence au deuxième semestre 2022 », il a indiqué que « la présidence de la République, elle-même, en tant qu’institution, a mis en place des commandes d’armes particulièrement massives dont nous avons retracé le cheminement ». Poursuivant son propos, l’avocat de Sonko soulignant avoir établi le « meurtre de 50 personnes entre mars 2021 et juin 2023, et plusieurs milliers de détentions arbitraires et d’atteintes à la vie et blessures » a précisé que sa «démarche va entraîner pour les personnes visées des conséquences pour le restant de leurs jours, car les crimes qui ont été commis sont imprescriptibles ».

Le Pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris également saisie

Loin de s’en tenir-là, Me Juan Branco a également annoncé une plainte en France devant le Pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris. Dans un article publié le 21 juin, le journal français « Le Figaro » a révélé au sujet de l’identité des personnalités visées par l’avocat français, le nom de l’ancien ministre de l’Intérieur Antoine Diome, le général Moussa Fall, Haut commandant de la gendarmerie, « ainsi que 112 autres individus ». Selon toujours ce journal français, Me Branco se base sur « 4500 éléments de preuve recueillis » par son cabinet. « Je suis l’avocat de nombreuses parties civiles sénégalaises et, pour certaines, françaises. Nous avons recueilli 4 000 éléments de preuve vérifiés depuis mars 2021, dont 710 ont été conservés dans le cadre de cette procédure », avait indiqué Me Branco lors de ce face-à-face avec des médias français mais aussi des représentants de médias étrangers à l’hôtel Royal Monceau à Paris, ce 22 juin là.

Pour rappel, dans deux arrêts rendus le vendredi 12 mai 2023, la Cour de cassation qui avait été saisie par deux Syriens, accusés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans leur pays par le Pôle « crimes contre l’humanité » du tribunal judiciaire de Paris avait reconnu la « compétence universelle » de la justice française en ordonnant la poursuite des procédures initiées par ce Pôle « crimes contre l’humanité ». Quelques jours après cette décision historique, les juges d’instruction du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris ont ordonné, le 19 juillet 2023, la mise en accusation devant la Cour d’assises de Majdi Nema, alias Islam Alloush, ancien dirigeant du groupe rebelle islamiste syrien Jaysh al-Islam. De même, trois des hommes forts de l’appareil répressif du régime de Bachar El-Assad, arrêtés en 2013 pour la mort de deux Franco-Syriens, ont été renvoyés par ce tribunal de Paris devant les Assises pour complicité de crimes contre l’humanité et de délits de guerre. Il s’agit entre autres de, Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud.

Le président Macky Sall, Antoine Diome, le général Moussa Fall ainsi que 109 autres individus visés par la loi de « Sergueï Magnitski » au Canada

Sous la houlette de Me Pape Kanté, avocat au Barreau du Québec/Canada, 16 citoyens canadiens d’origine sénégalaise demandant une application de la loi de « Sergueï Magnitski » ont adressé le 23 juin dernier une lettre au Premier ministre canadien, Justin Trudeau. Dans cette missive dont nous détenons une copie, ces Sénégalais d’origine demandent au chef du gouvernement canadien l’application de la loi de « Sergueï Magnitski » contre des autorités sénégalaises citées dans la commission des crimes du mois de juin 2023 pour violation des droits de l’homme et de la Loi sur les mesures économiques spéciales (L.C.1992, ch.17). Ce texte baptisé en mémoire de l’avocat russe mort en prison « Magnitski », permet au gouvernement canadien d’imposer un gel des avoirs financiers ou un interdit de séjour aux dirigeants et fonctionnaires étrangers qui se sont rendus coupables de graves violations des droits de la personne. Dans le viseur de ces citoyens canadiens d’origine sénégalaise, se trouvent différentes personnalités dont le président Macky Sall, des membres de sa famille biologique, l’ancien ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, l’actuel patron de la Gendarmerie nationale, le général Moussa Fall, ainsi que 109 autres individus. Parmi ceux-ci, on distingue des membres du cabinet présidentiel, des ministres du gouvernement, des gouverneurs, des préfets, des responsables des Forces de défense et de sécurité (Fds), des cadres diplomatiques étrangers, des hommes d’affaires, des responsables et militants du parti au pouvoir et des « nervis ». Dans le cadre de cette procédure, ces Sénégalais d’origine ont rencontré des membres du Caucus des parlementaires, qui est une association de parlementaires qui se regroupent en fonction de leurs choix politiques au sein d’une chambre de Parlement.

Aux Usa, des plaintes annoncées dès la chute du régime.

Aux États-Unis également, des actions judiciaires sont annoncées contre le président Macky Sall qui fait déjà l’objet d’une procédure pour son implication dans les contrats pétroliers et gaziers avec son frère Aliou Sall et Frank Timis. Sous la houlette de responsables du parti Pastef ! Ces derniers disent attendre que la fin de son mandat à la tête du pouvoir exécutif pour enclencher la justice américaine sur la base de plusieurs lois et réglementations visant à tenir les responsables gouvernementaux étrangers responsables de la torture et des violations des droits humains. Parmi ces textes, on peut citer la loi sur la protection des victimes de torture de 1991 (Torture Victim Protection Act – TVPA) qui permet d’intenter des poursuites civiles aux États-Unis contre des responsables gouvernementaux étrangers qui ont commis des actes de torture ou des exécutions extrajudiciaires, à condition que toutes les voies de recours locales disponibles aient été épuisées. Idem pour le Statut sur les Tortures Aliènes (Alien Tort Statute – ATS) qui permet également aux non-citoyens américains de déposer des plaintes dans les tribunaux fédéraux américains pour violations du droit international contre des responsables gouvernementaux étrangers présumés impliqués dans des abus des droits humains. Dans la même dynamique, on cite également le recours à la loi Magnitsky (2012) et la loi globale Magnitsky (2016) qui autorise le gouvernement américain à sanctionner des responsables gouvernementaux étrangers partout dans le monde considérés comme des contrevenants aux droits humains, à geler leurs actifs et à leur interdire l’entrée aux États-Unis.

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