FRANC-CFA: POUVONS-NOUS EN SORTIR ?

Octobre 2017, Kémi SEBA, activiste panafricain, embrase un billet de franc CFA et avec une partie de la jeunesse africaine. Ce geste aussi controversé soit-il remet la question du franc CFA au cœur des débats. Loin des empoignades enflammées constatées sur les réseaux sociaux ou les plateaux télés entre pro-CFA et anti-CFA, il convient d’aborder la question de manière dépassionnée et objective.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause les arguments légitimes des uns (quête de souveraineté, rupture avec un système d’origine coloniale, etc..) et économiques des autres (stabilité économique, faible inflation, etc..). L’Afrique, les Africains, nos hommes politiques, nos institutions financières, sont aujourd’hui ouverts sur cette question. Les récents travaux du groupe d’intervention présidentiel chargé de la mise en place de la monnaie unique de la CEDEAO témoignent d’une réelle volonté de faire bouger les choses. Là où nous devrions poser notre attention et orienter le débat n’est plus de savoir s’il faut sortir ou non du franc CFA, mais plutôt quelle alternative au franc CFA ? Comment allons-nous procéder ?
Sortir du franc CFA sans alternative crédible et sérieuse serait une catastrophe pour nos économies déjà fragilisées et nos populations. Pour se prémunir de cela il est indispensable de mettre en place un système de remplacement plus moderne et au moins aussi efficace que le franc CFA dans ses avantages.
Pour ce faire, un certain nombre de préalables doivent être remplis, il n’est d’ailleurs pas anodin que le Nigeria ait émis plusieurs réserves vis-à-vis du projet de monnaie unique.

Moins de parole, des actes concrets
L’enthousiasme débordant de nos dirigeants qui annoncent une monnaie unique dès 2020, ne doit pas masquer les lacunes et le manque d’actes concrets. Selon Marcel De Souza Président de la Commission de la CEDEAO, la feuille de route visant à aboutir à une monnaie unique « n’a pas été mise en œuvre vigoureusement ». Il a relevé que sur « les quatre objectifs » fixés, « les résultats ne sont pas au rendez-vous ». « De 2012 à 2016, aucun de nos pays n’a pu respecter de manière continue les critères de premier ordre du programme de convergence macro-économique », a t-il noté.
L’harmonisation des politiques monétaires entre les huit monnaies de la CEDEAO, qui devait précéder la monnaie unique, « n’est pas faite ». Et « l’institut monétaire », prélude à une Banque centrale commune, n’a pas vu le jour, a t-il ajouté. Et le Gouverneur de la Banque Centre Nigérienne M. Godwin Emefiele d’ajouter que les fondamentaux économiques ont continué à diverger au cours des années, rendant plus difficile la réalisation du projet d’ici 2020.
L’exemple de la zone euro et de la crise grecque nous montre bien que cela n’est pas chose aisée, l’impréparation et la précipitation pourrait se révéler nos pires ennemis.
Afin de matérialiser cette volonté des populations africaines, j’invite les chefs d’Etats de la CEDEAO et de l’UEMOA plus particulièrement à s’engager fermement et avec détermination aux respects des critères de convergence économique, à la création d’une Banque Centrale Commune (forte et indépendante dans sa gouvernance) et à la rationalisation des institutions financières déjà existantes.
Il faut présenter une feuille de route de dissociation du « Trésor Public français », revoir le mécanisme d’arrimage du franc CFA à l’euro et privilégier l’arrimage à un panier de devises et adopter une approche graduelle privilégiant le démarrage de l’union monétaire pour les pays qui respectent les critères de convergence, avec une adhésion des autres États au fur et à mesure.
Rappelons en outre que la non-préparation de certains pays, l’édulcoration des critères de convergence et les disparités macroéconomiques au sein de la CEDEAO constituent des obstacles à la mise en place de l’union monétaire. Il convient également de s’assurer que l’ensemble des pays soient bien informés quant aux implications de la mise en œuvre de la monnaie unique et de son impact sur la mise en place de politiques économiques nationales futures.

*Article paru dans la revue SENGHOR – mai 2018
Par Mohamed SEYDI
Chargé de développement commercial
Secrétaire politique du MJESE