L'EC(H)O D'UN SILENCE BAVARD (Madiambal Diagne)

22 - Juin - 2020

Le silence de nos autorités après l’option de Paris laisse dubitatif. Peut-être que la France mérite tout ce dont on l’accuse, mais la situation révèle une impréparation des pays de l’Afrique de l’Ouest à assumer leur souveraineté monétaire

Les pays de l’Afrique de l’Ouest avaient clamé urbi et orbi vouloir mettre fin à la monnaie Cfa et réviser ainsi leurs accords de coopération monétaire avec la France. Les chefs d’Etat membres de la Cedeao, suivant les recommandations de leurs experts, avaient indiqué que 2020 sonnera le glas de la monnaie Cfa qui devra être remplacée par l’eco. Le 21 décembre 2019, les Présidents Emmanuel Macron (France) et Alassane Dramane Ouattara (Côte d’Ivoire) avaient confirmé cette échéance inéluctable pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. Il est à remarquer que les pays de l’Afrique centrale, membres de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) et les Comores, tous soumis au même régime, se sont encore gardés de trancher le débat. Le 24 mai 2020, le gouvernement français a initié un projet de loi entérinant la fin du franc Cfa en Afrique de l’Ouest et la restitution à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) de la totalité des réserves de change déposées dans les comptes du Trésor français. Le ministre des Affaires étrangères de la France, Jean-Yves Le Drian, prenant les airs d’un Charles de Gaulle sur la Place Protêt à Dakar en 1958, a déclaré devant l’Assemblée nationale française que son pays répondait ainsi à une demande des huit pays membres de l’Uemoa (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Niger, Mali, Sénégal, Togo).

La France se retire également des organes de gestion de la monnaie, permettant aux pays africains de recouvrer leur souveraineté monétaire pleine et entière. Elle ne s’engage pas moins à continuer à assurer la garantie de la convertibilité de la prochaine monnaie eco. Est-ce de la mansuétude ou juste une pudeur diplomatique ? En tout cas, on peut se demander combien de temps cette offre de garantie de la convertibilité pourra durer, d’autant que le pays garant n’aurait désormais aucune autorité ou emprise sur le cours des choses. Quel pays garantirait une monnaie adossée à des économies de pays dont il ne participe pas à la définition des politiques économiques ? En outre, garantie pour garantie, qu’est-ce qui assure que le successeur de Emmanuel Macron en France adoptera la même position ou que le successeur de Alassane Dramane Ouattara ne voudra pas changer de stratégie quant à la politique monétaire ?

Les polémistes deviennent subitement aphones

Le débat avait pris en haleine les élites africaines autour de la question du franc Cfa. Cette monnaie qualifiée de «coloniale» était présentée comme le mal provoquant les retards économiques des pays africains. Qu’à cela ne tienne ! Seulement, il ne se trouvait pas un économiste africain en mesure de présenter une expérience monétaire africaine plus efficace ou étant plus avantageuse que le franc Cfa. Au contraire, tous les pays qui encourageaient à pourfendre le Cfa comme le Nigeria, la Guinée ou le Ghana faisaient en quelque sorte du Cfa une monnaie refuge pour leurs transactions. Dans certains de ces pays, le Cfa est même accepté dans les transactions quotidiennes domestiques comme l’est aussi le dollar américain dans de nombreux autres pays africains. C’est dire !

Dans une chronique en date du 24 juin 2019, intitulée «Qui voudrait d’une monnaie de singe ?», nous mettions en garde, car «personne ne voudra porter la responsabilité d’être mis au ban de la communauté pour cause de manque de sentiment panafricaniste ou de volonté d’intégration régionale africaine. Personne ne voudra apparaître comme étant le support de supposés intérêts étrangers à l’Afrique. Les chefs d’Etat risquent ainsi de donner leur onction à un projet que tout le monde sait prématuré, tant les conditions préalables et nécessaires à sa réussite ne sont pas encore satisfaites. L’eco risquera en effet de se révéler comme une monnaie de singe, à l’instar de la plupart des monnaies en cours dans bien des pays africains». Nous demandions en conséquence de ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

On peut présumer que le contexte de la pandémie du Covid-19 devrait y être pour quelque chose. Les esprits sont tournés à chercher à se sauver, mais on ne peut pas ne pas constater que c’est le silence radio après l’annonce par la France de son retrait des organes de l’Union monétaire. Les chefs d’Etat africains, qui avaient officiellement demandé la fin du franc Cfa, se gardent encore de se féliciter de la décision de la France. Le Nigeria, qui caressait le dessein de prendre la place de la France dans l’espace monétaire, ne montre plus un enthousiasme débordant pour l’eco, dès l’instant que les pays de l’Uemoa ont montré ne pas vouloir être sous le joug du Naira. Le Nigeria, dont les plans sont contrariés, dispute à l’Uemoa le droit d’utiliser le nom eco. Jusqu’où cette querelle de baptême va-t-elle aller ? Va-t-on voir circuler deux monnaies appelées toutes «eco» dans le même espace de la Cedeao ?

Les activistes qui criaient à tue-tête pour la fin immédiate du Cfa ont déserté les plateaux des télés, des radios et les colonnes des journaux. Les rares et assez timides réactions encore enregistrées sont pour accuser la «France de chercher à torpiller l’eco en se retirant de manière aussi précipitée». Peut-être que la France mérite tout ce dont on l’accuse, mais la situation révèle une impréparation des pays de l’Afrique de l’Ouest à assumer leur souveraineté monétaire. Force est de dire que les Chefs d’Etat africains avaient fini par céder à une certaine clameur des réseaux sociaux, aux invectives de quelques grandes bouches d’activistes qui ont investi les nouvelles manufactures d’opinions et donc avaient fini par prendre des décisions pas suffisamment mûries. Ils sont coupables de n’avoir pas assumé toutes leurs responsabilités de Chefs d’Etat, même au prix de passer pour des vilains. Il était de mauvais ton de chercher à défendre la qualité du franc Cfa face aux attaques dont il faisait l’objet. Ainsi, a-t-on laissé prospérer tous les fantasmes sur le Cfa, voulant par exemple que la France profite des réserves de change déposées dans les coffres de la Banque de France pour financer son économie. Or le montant des liquidités déposées par la Bceao sur le compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français est de l’ordre de 10 milliards d’euros à la fin de l’année 2019. Un tel montant ne suffirait même pas pour payer la dette du seul Sénégal ou pour financer la phase II de son Plan Sénégal-émergent (Pse). 40% des 10 milliards d’euros appartiennent à la Côte d’Ivoire et les 19% au Sénégal. Les réserves de change étaient rémunérées au taux de 0,75%. La France peut placer cette somme sur les marchés et peut-être récolter un meilleur taux ou l’utiliser dans ses transactions courantes. Qui sait ? La France n’a jamais dit comment elle utilise cette somme, mais on ne peut pas ne pas remarquer qu’elle est dérisoire à l’aune d’une économie d’un pays comme la France. Le Pib de la France est évalué à plus de 2 500 milliards d’euros et les taxes sur les transactions financières rapportent plus de 3 milliards d’euros par jour à la France.

Le Cfa est parti pour rester encore pendant quelques bonnes années

Le vin est tiré, il faut le boire. Il ne semble pas envisageable de demander à la France de revenir sur sa décision. Le cas échéant, le ridicule tuerait. Il n’en demeure pas moins que la circulation du Cfa est partie pour demeurer quelques bonnes années encore. L’appellation de la monnaie pourrait changer dans les livres comptables, mais la monnaie fiduciaire va demeurer. Mettre en circulation une nouvelle monnaie se fait dans le long terme. L’expérience enseigne que même pour changer une série de coupures de billets de banque, les autorités monétaires déroulent l’opération sur une longue période. Il faudrait aussi s’assurer de la fiabilité des nouveaux billets de banque qui seront mis en circulation. On a vu qu’en dépit des nombreux filets de sécurité censés protéger et rendre les billets de banque inviolables, des pays comme les nôtres sont régulièrement victimes de grandes opérations de faux monnayage. Va-t-on aussi pousser le bouchon du nationalisme africain jusqu’à préférer battre monnaie dans nos propres unités industrielles qui n’offrent pas toujours les meilleures garanties de sécurité ? Ou bien voudrait-on éviter de s’approcher de la France et aller faire battre notre monnaie en Chine ou en Russie ?

Au demeurant, Dans une tribune publiée dans ces colonnes en mars 2017, l’économiste Ndongo Samba Sylla présentait des faits intéressants sur la question du franc Cfa, qui se doivent d’être lucidement analysés pour toute transition vers une nouvelle monnaie. Les limites que le franc Cfa a représentées pour l’intégration économique du continent, le «déficit chronique de crédits bancaires des pays» de l’espace Cfa, ainsi que l’effet néfaste des flux financiers illicites sur les économies des pays de cette zone monétaire sont des arguments abordés par l’économiste sénégalais. Ces pistes bien intéressantes méritent une étude rigoureuse des gouvernants et des acteurs de la transition monétaire dans notre zone. Le silence de nos autorités après l’option faite par la France laisse dubitatif tout observateur. Il est bien de sortir d’une situation préjudiciable, mais encore faudrait-il une prise de responsabilités assez conséquente des élites politiques et économiques pour impulser une démarche nouvelle. Il faudrait de toute force que cette sortie du franc Cfa ne soit pas un «chaos monétaire programmé» comme bien des milieux pourraient être amenés à l’envisager. Une logique dans laquelle nos Etats attendraient un fait accompli, et prôner une navigation à vue sera plus que dommageable aux plans économiques et sociaux.

 

 

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