L’OMBRE DE BORGIA (PAR DR SECK)

20 - Août - 2019

Karim, depuis l’exil de Qatar, prend le pouvoir, promu par un père dont la maîtrise de la réalité politique ne semble privilégier que l’efficacité au détriment de la justice parfois.

Parce que son ambition était d’asseoir son pouvoir par tous les moyens, son ombre diabolisée a accompagné une certaine représentation du pouvoir chez les théoriciens de la real-politik, en particulier Nicolas Machiavel qui s’inspira de l’image pervertie de ce duc de Valentinois, fils de Alexandre VI. Sa figure, revisitée dans Le Prince, contribua ainsi pour beaucoup à la mise à l’index de cette œuvre fondatrice de la science politique. Et si le duc de Valentinois constitue une figure intéressante en analyse politique, c’est bien pour cette aptitude exceptionnelle d’allier la force et la ruse dans l’activité politique. A force de courage et de ruse, il sut obtenir la carrière dont il a toujours rêvé et qui le mènera à la conquête de plusieurs villes italiennes, les unes après les autres, tout en se trouvant des alliés de circonstances qu’il n’hésitera guère à sacrifier après, sous l’autel d’une ambition personnelle.

Ce qui est ainsi intéressant dans cette démonstration de Borgia, c’est la parfaite maîtrise de la mécanique du pouvoir, depuis qu’il a été guidé sur les sentiers de la gloire par son père Rodrigo Borgia, devenu Pape sous le nom de Alexandre VI. C’est donc bien sous l’impulsion du père que le prince Valentinois réalise son ascension. Et c’est ce fait qui sonne comme un héritage en politique, eu égard au fait que même dans les démocraties contemporaines où la représentation politique est fondée sur l’élection, les rapports de filiation n’en jouent pas moins un rôle parfois essentiel dans la construction de la légitimité. Cette réalité a été ainsi vécue dans certains pays africains qui ont vu succéder un fils à son père, pour une politique de la continuité souvent dénoncée par les populations.

Et, ce qui se passe dans le Pds de nos jours, n’échappe pas à la règle, avec cette refonte de la direction du Parti contribuant à la mainmise de Karim Wade sur le Pds. En effet, usant de son talent de stratège politique, l’ancien prince, la politique dans le sang, a exercé une dévolution monarchique du pouvoir au sein de son parti, non sans calcul empreint de ruse, puisque son dispositif classe dans l’ordre hiérarchique son fils qu’il tient à introniser depuis le Qatar (et qui a été son conseiller et ministre tout à la fois), ainsi que tous ses affidés au sein du Parti. Les instances remaniées du Pds au profit de Karim Wade obéissent ainsi à la logique qui voudrait que dans ce dispositif nouveau du parti, seul le fils du «Pape du Sopi» dirige, puisqu’à la fois il a été désigné Secrétaire général adjoint du Pds, «chargé de l’organisation, de la modernisation et de l’élaboration des stratégies politiques» du Parti. Ce qui d’emblée écarte les caciques du Pds, jugés comme étant des personnalités dissidentes au regard de Wade. Il en est ainsi de Omar Sarr qui, parce qu’il n’a pas voulu jouer la même note que Wade avait décidée, au grand dam de ce dernier, de participer au dialogue national.

Wade n’a ainsi pas hésité à sortir Omar Sarr du dispositif de la commande libérale nouvellement renforcée par le cercle des amis de son fils ainsi que ses plus fidèles collaborateurs. Karim, depuis l’exil de Qatar, prend donc le pouvoir, promu par un père dont la maîtrise de la réalité politique ne semble privilégier que l’efficacité au détriment de la justice parfois. Wade charrie ainsi la représentation d’une pratique politique assez pervertie au fond par un cynique calcul qui reclasse le dispositif libéral au service d’une ambition personnelle. A la lumière d’un tel éclairage, la place qu’occupe désormais le fils de l’ancien prince dans la galerie du parti libéral en dit assez sur sa tendance à user d’une raison politique qui relève de la stricte nécessité politique. Nécessité qui, précisons-le, ne profite qu’à l’héritier du prince. Ainsi, Wade sacrifie-t-il ses fidèles collaborateurs de toujours, à l’instar de Me Amadou Sall et Oumar Sarr, qui disons-le jusqu’ici, ont tant bien que mal défendu les rênes du Pds, après le désaveu de Me Madické Niang durement éconduit par l’ancien prince dont il a été obligé de se séparer. Sans oublier l’isolement injuste de M. Babacar Gaye dans ce nouveau dispositif, lui aussi sacrifié à l’autel du fils-héritier. Cette situation n’est pas sans convoquer les alliances assez souvent éphémères dont se nourrissaient les rêves de César Borgia, alliances qui ne tenaient que provisoirement, en attendant de sacrifier ceux qui avaient été jusque-là les alliés et qui ont aidé à l’ascension de leur futur ennemi.

Les Vitelli, les Orsini, les Baglioni, ces grands qui ont aidé César Borgia dans sa fulgurante ascension en ont hélas fait les frais. Et c’est très exactement ce que la mécanique du Parti démocratique sénégalais laisse entrevoir, avec une nouvelle structuration qui rejette d’emblée les ténors du Parti qui ont contribué à sa grandeur en frayant le chemin au fils de l’ancien prince. Toute une stratégie orchestrée par le père fondateur du Pds, dont la dernière leçon ici évoquée comporte une froideur assez cynique, et qui laisse planer à travers ses choix l’ombre de César Borgia.

DR SECK

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