Le Centre de formation professionnelle de Thiès à l’agonie: élève et enseignants mis à la rue
Le Centre national de formation professionnelle de Thiès est à l’agonie. Elèves et enseignants viennent d’être expulsés de leurs locaux. Les « locataires » du Centre national de formation professionnelle de Thiès, ainsi laissés en rade, cherchent des locaux pour pouvoir valider l’année académique 2020-2021.
Le Centre de formation professionnelle de Thiès a toutes les compétences, et fait d’excellents résultats. Pour preuve en 2017, il a eu 100 % de réussite aussi bien dans la filière restauration qu’en habillement. L’année suivante, en 2018, le taux de réussite était de 95 % avant de remonter à 100 % en 2019. Avec des mentions s’il vous plait ! Au-delà des résultats, la cellule d’insertion dudit centre accompagne aussi les élèves jusqu’à leur trouver des partenaires avec des financements à hauteur de plusieurs millions et des dons pour qu’ils puissent se lancer dans l’entreprenariat. Pour dire que ce centre est un modèle. Mais malgré leurs performances scolaires, ses pensionnaires ont toujours étudié, et travaillent encore, dans des conditions extrêmement difficiles.
Ils sont au total plus de 100 élèves, 19 enseignants et 8 du côté du personnel administratif, qui s’entassaient chaque jour dans un « studio » composé de « deux petites chambres et un salon » pour former ou se faire former. Aussi, les « pensionnaires », élèves, professeurs comme personnel administratif, partagent une seule toilette. Encore que ça, c’était avant. A l’époque où les cours se faisaient dans un « appartement », deux (petites) chambres et salon pour une dizaine de classes théoriques qu’on devrait mettre dans des classes physiques. Ce qui causait d’énormes problèmes avec la planification des emplois du temps pour ventiler tout ce monde dans les classes. Ou ce qui en tenait lieu.
Une situation qui a amené l’administration à créer deux abris provisoires sur fonds propres dans le seul objectif de former les jeunes et leur permettre de réaliser leurs rêves. Hélas, comme si la communauté qui forme ce centre était atteinte d’un mauvais sort, un arbre s’est affalé sur les abris provisoires. « Heureusement que l’incident est arrivé en pleine période Covid-19 où on était encore en vacances. Sinon on allait parler d’accident avec des victimes, aussi bien du côté des professeurs que des élèves », tremble encore à l’évocation de cet incident le professeur en sociologie Madické Ndiaye en parlant du manque de sécurité.
Selon lui, les problèmes que rencontre aujourd’hui le centre se sont aggravés suite à la décision de l’Etat de rompre toutes les conventions qui le liaient avec les bailleurs. Ou qu’il avait prises en location pour le compte de tiers. « On a reçu la mission de l’Agence du Patrimoine bâti nous informant que l’Etat a décidé de rompre tous les contrats, toutes les conventions avec les bailleurs. Ensuite, ils nous ont envoyé une sommation interpellative au mois d’avril nous demandant de quitter les lieux dans deux mois. « Donc au mois de juin. On a vu que la vétusté est avancée, et que les toits peuvent céder à tout moment. Ils ont engagé un huissier qui nous somme de quitter les lieux. Nous aussi, on a fait toutes les démarches du côté des autorités locales aussi bien au niveau de l’Ia, de l’IEF, de la gouvernance qui nous ont demandé de nous débrouiller pour trouver un local pouvant permettre d’abriter la formation. C’est à la suite de cela qu’on est allé voir le propriétaire des anciens locaux de la direction des statistiques qui a accepté de nous louer les locaux en attendant d’avoir une nouvelle construction. Mais depuis lors, le dossier est bloqué au niveau de la direction du Patrimoine bâti », se désespère notre interlocuteur. Le professeur de sociologie dit attirer l’attention des autorités, des parents d’élèves et de la population de Thiès sur le fait que les élèves ont réglé leurs frais d’inscription mais ils tardent encore à faire cours un mois après la rentrée scolaire et à cinq mois des examens. Or, soupire M. Madické Ndiaye, une telle situation peut porter préjudice à ces élèves.
Urgence signalée au centre d’appui à la formation professionnelle de Thiès
Hélas, plutôt que de régler ce problème aigu, la tutelle a choisi de communiquer sur le nombre de centre construits, et qui seraient passés de 87 à 127 écoles. L’Etat, selon les services du ministère de l’Enseignement technique et professionnel, projette la construction de 35 autres centres dès 2021. M. Ndiaye qualifie d’« aveu d’échec », cette façon d’écarter leur centre de ce projet de création de nouveaux centres. « Le rôle d’un ministère de la Formation, c’est de gérer ses écoles, son personnel, son département pour pouvoir rapidement décanter d’éventuelles situations. J’ai bien peur qu’il ne soit même pas au courant de la situation du centre de formation professionnelle de Thiès alors que l’Ia, l’Ief et le gouverneur ont tout fait. J’ai appris que le ministre Dame Diop est venu en visite de terrain au niveau des différents lycées techniques et centres formations de la localité sans faire cap au Cfpt ».
Il dénonce ce manque de considération envers le personnel, les élèves et leurs parents. Surtout s’agissant d’un centre qui a une histoire singulière. Fruit d’une coopération entre l’Allemagne et le Sénégal depuis plus de 20 ans, il a été « créé » pour former des groupements de la région de Thiès, et permettre aux bénéficiaires de décrocher rapidement un métier. Après la fin de la coopération, et vu l’excellent travail abattu au bénéfice de la population locale, l’Etat avait jugé utile de le transformer en centre de formation digne de ce nom.
Le professeur en sociologie explique. « C’était des formations modulaires avec des financements. Et comme Thiès avait besoin d’un centre de formation pour les jeunes, on a décidé de la transformation en centre avec des modules et filières de formation, un centre au même titre que les Cfp pour former au métier de l’habillement et de la couture. Sauf que tout se passait, pendant plus de 10 ans, dans une maison conventionnée avec des locaux non adaptés. En dépit de ces conditions, on n’a jamais baissé les bras. Une détermination qui nous a permis d’avoir d’excellents résultats. Notre objectif, c’est de bien former les jeunes aux métiers et leur permettre d’être autonomes », rappelle-t-il.
A l’en croire, c’est en désespoir de cause, et après avoir usé de tous les recours administratifs, qu’il s’est tourné vers la presse pour se faire entendre. Car, dit-il, c’est une urgence et on doit trouver une solution à ce problème avant fin novembre. Le porte-parole du Cfpt plaide ainsi pour la construction de locaux adaptés à la formation professionnelle des jeunes inscrits dans le centre pour pouvoir travailler sérieusement dans de meilleures conditions, mériter leur salaire, et former les élèves à avoir un métier et les accompagner jusqu’à ce qu’ils décrochent un emploi.
Sauf qu’on est déjà en début décembre, et que rien n’a encore été fait pour cet établissement. Ce qui fait dire au secrétaire général du Syndicat de l’enseignement technique et professionnel, Amar Kane, que le discours brandi par les autorités ne suit pas le rythme des tams-tams. Pardon, des réalisations.
Le Témoin