LE PARTAGE D’INFOS, L’AUTRE PÉNURIE

16 - Avril - 2022

Peu informées des pénuries d’eau, les populations de Dakar vivent un calvaire quand une telle situation se pose. 3 semaines après la fin du Forum mondial de l’eau, Le Quotidien montre, à travers ce reportage, comment l’accès à l’information pourrait aider en temps de crise.

Il y a une file de bidons qui attendent d’être remplies sous les yeux livides de leurs propriétaires. Les eaux usées qui ruissellent le long de la route et l’étroitesse de l’endroit n’altèrent pas la détermination des femmes venues s’approvisionner au niveau de la borne fontaine du quartier. Seaux, bidons d’eau minérales vides et bassins décorent les lieux. La scène se passe au quartier Taïba de la commune de Grand-Dakar. En ce jeudi 17 mars 2022, c’est le rush vers les robinets publics à cause de la récurrence des coupures d’eau dans les concessions. Dans cet espace appelé communément robinet Lansana, il est 10h, les rayons solaires perdent en densité à cause du froid qui résiste. Ce matin-là, Coumba Ka s’est réveillée sans eau chez elle. Foulard jaune sur la tête, la dame d’une trentaine d’années, habillée d’une jupe et d’un tshirt bleu, est habituée à ces coupures même si elle n’est jamais informée de leur survenue. «Je n’ai entendu nulle part qu’il devait y avoir des coupures d’eau. A chaque fois, c’est comme ça. La situation peut perdurer pendant deux jours», déplore-t-elle.

Installé depuis les années 1950, le robinet Lansana est fréquenté par une centaine de personnes au quotidien. D’après le gérant, Lamine Seck, la demande ne faiblit pas. Les tarifs sont connus : bidon à 35 francs et seau d’eau à 25 francs. En l’absence de son père en voyage et gérant historique du robinet Lansana, Lamine Seck, étudiant en géographie, assure la gestion de l’outil. «Parfois, on paie 35 000 francs et d’autres fois, 50 000 francs. On n’a aucune prise sur le prix de l’eau. Entre la Sen’Eau et la Sde, je ne vois pas la différence», explique le jeune à la chevelure afro. Certains ont vu leurs abonnements coupés à cause de la cherté de la facture, d’autres habitent en hauteur où la remontée de l’eau n’est pas évidente. Il y a aussi ceux qui n’ont pas de branchements chez eux. Tous prennent d’assaut ce lieu situé en plein quartier populaire. «Je gère un restaurant, mais les coupures d’eau me font beaucoup de mal. Je n’ai pas de robinet, je m’approvisionne ici. La Sen’Eau est imprévisible», se plaint Mame Diarra en train d’alimenter 10 bidons d’eau.

Rush vers les robinets publics

Lorsqu’il y a pénurie d’eau, ce robinet public est l’un des rares à fonctionner. «Parfois, je me lève pour faire mes ablutions mais il n’y a aucune goutte d’eau qui provient du robinet. Quand la Sen’Eau annonce des jours de coupures, elle ne respecte pas les dates. Souvent, il y a de l’eau. Mais quand elle ne dit rien, on se réveille et nos robinets sont secs», pleurniche Assane Soumaré, un quinqua qui fréquente le lieu. Au robinet de la pharmacie de Ben Tally, Babacar Ngom remplit un bidon et une bassine à 50 francs, alors que le seau est échangé contre 25 francs. Dans cet espace, gravitent laveurs de véhicules, gérantes de restos et charretiers. «Moi, je transporte les bidons d’eau à raison de 100 francs par bidon. Les pénuries d’eau me causent du tort», explique Mamadou Lamine Ngom, charretier originaire de Fandène.

A Grand-Yoff, Parcelles Assainies et Guédiawaye, les coupures d’eau sont de moins en moins fréquentes. Mais quand elles interviennent, les populations sont souvent prises de court. Les structures en charge de l’eau communiquent certes, mais favoriser l’accès à l’information pourrait aider à une meilleure gestion. «Parfois, on a l’information, parfois non. Souvent, on fait 2 à 3 jours de coupure. Ces temps-ci, on utilise peu d’eau donc les factures ont baissé», explique Fama Guèye qui s’approvisionne souvent à la mosquée de Serigne Cheikh, située sur la route de l’Unité 15. Le Sénégal a entrepris depuis 2011, un projet de loi sur l’accès à l’information. Celui-ci vise, entre autres, à renforcer la gouvernance et la transparence, tout en garantissant à tous les citoyennes et citoyens l’accès à l’information détenue par les entités publiques. Sur la gestion de l’eau, Sen’Eau et la Sones font souvent des communiqués pour expliquer les raisons des coupures momentanées. Visiblement, l’information n’est pas passée auprès de tout le monde. Qui attend plus d’explications !

COUPURES PÉRIODIQUES D’EAU À DIAMALAYE, APECSY, NORD-FOIRE : SOIF D’EXPLICATIONS !

A Yoff, ce sont les quartiers de NordFoire, Diamalaye et Apecsy qui souffrent le plus du manque d’eau. Un véritable casse-tête qui a conduit ces populations à faire feu de tout bois pour être approvisionnées correctement.

Un groupe de filles, massées dans une allée de la route qui jouxte le centre aéré de la Bceao de Yoff, échangent sur la pénurie d’eau qui frappe Dakar. L’objectif est de rallier daredare Yoff-village, où la pénurie aurait épargné quelques endroits. Habitant toutes à Apecsy, elles, en ce dimanche 27 mars 2022, attendent des taxis. Avec deux bouteilles vides, Fatima, sous un soleil de plomb, essuie un visage dégoulinant et explique le calvaire qu’elles vivent dans leur quartier : «La pénurie d’eau s’est installée depuis samedi, à l’aube. Ici, à Apecsy, il est impossible de voir une goutte d’eau venant des robinets. Nous ne pouvons pas faire la vaisselle et pour laver nos habits, n’en parlons même pas. Pour boire, on achète de l’eau à la boutique. On nous indique qu’à Tonghor, il y a de l’eau et on attend des taxis pour aller nous approvisionner là-bas.» Une situation que l’on retrouve à quelques encablures, c’est-à-dire à Diamalaye. Dans ce quartier, l’objet le plus en vue demeure la bouteille. Aux alentours du Cimetière musulman de Yoff, la pompe est prise d’assaut par des personnes de tout sexe. Un bonhomme visiblement lassé d’attendre, exprime son amertume et tire sur les autorités. «Macky Sall et son régime sont des incompétents. Je me demande ce qu’ils font. Actuellement, ils sont obnubilés par des remaniements alors que nous qui les avons élus, on manque cruellement d’eau qui, avec l’électricité, sont des besoins primaires», fulmine-til. A Nord-Foire, des camions citernes font le tour du quartier pour soulager les populations étreintes par ces corvées. A l’image de ces trois filles éconduites par le vigile du terrain municipal de la commune. Le gardien du stade justifie son acte : «Il n’y a pas d’eau ici. Depuis deux jours, ce sont les camions citernes qui nous alimentent. D’ailleurs, un des leurs vient de passer il y a de cela quelques minutes.» Et c’est toujours les mêmes scènes dans de nombreux quartiers dakarois.

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