Le PUDC : une innovation politique en matière de développement rural au Sénégal ?

06 - Janvier - 2017

Avec un taux de croissance de 6,6% annoncé par le Président de la République du Sénégal, Macky SALL, lors de son traditionnel message à la nation à l’occasion du nouvel an 2017, le Sénégal fait partie des pays les plus dynamiques en Afrique. Cependant, il est illusoire de nier que la pauvreté persiste au Sénégal en dépit des différents programmes de développement mis en œuvre. Ce qui appelle, donc, à redoubler davantage d’efforts et de faire preuve surtout d’innovation, d’inventivité et de créativité pour une meilleure qualité de vie plus inclusive.

D’après le rapport définitif du Deuxième Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal en 2011 (ESPS-II 2011) qui a été réalisé et publié en mai 2013 par l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), le Sénégal a enregistré un taux de croissance annuel moyen du Produit Intérieur Brut (PIB) de 3,9% entre 2000 et 2011. En 2015, le Rapport sur le développement humain en Afrique 2016 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) indique que l’intensité des privations se situe à 53,5%. Au même moment, 18,1% de la population sont proches de la pauvreté multidimensionnelle quand 30,8% sont en situation de pauvreté multidimensionnelle sévère. Cependant, il faut souligner que cette pauvreté persistante ne touche pas au même niveau les populations selon leurs zones de résidence. En effet, en 2011, 57,1% des pauvres du Sénégal se situaient en milieu rural qui abritait 56,2% de la population sénégalaise contre 58,4% en 2005 et 54,8% en 2013. En cette année 2013, on voit enfin les campagnes sénégalaises se vider progressivement de leurs habitants en quête de lendemains meilleurs en ville. Les inégalités face à la pauvreté créent des pertes globales en matière de développement humain dont la valeur est estimée à 34,5% par le PNUD.

Dès lors, on comprend aisément le Président Macky SALL qui dit « (avoir) à cœur de réparer les grandes injustices qui pénalisent des millions de Sénégalaises et de Sénégalais » après avoir consacré les deux premiers axes du Plan Sénégal Emergent à la transformation structurelle de l’économie et à la lutte contre les injustices sociales (le troisième axe étant sécurité, gouvernance, droits et libertés). Cette compréhension est d’autant plus justifiée qu’il a également mis en œuvre un Programme National de Bourse de Sécurité Familiale (PNBSF) et un programme national de Couverture Maladie Universelle (CMU). Ces politiques sont fondées sur le fait qu’il a pu toucher du doigt la pauvreté en sillonnant le Sénégal profond à travers 4 000 villages en parcourant 80 000 km lors de la campagne présidentielle de 2012. Dans cette même optique, le Chef de l’Etat a lancé le Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC) le 7 juillet 2015 au Centre International de Conférences Abdou DIOUF à Diamniadio (CICAD). Comme son nom l’indique (Urgence), le PUDC vient en renfort aux autres politiques de développement en cours pour résorber plus rapidement les inégalités de développement humain entre deux typologies d’espaces au Sénégal : le rural et l’urbain.

Avec un budget à terme de 422 415 000 000F CFA, le PUDC vise, à la fin de sa mise en œuvre, la construction et la réhabilitation de 8 029 km de pistes rurales, la réalisation de 730 forages et châteaux d’eau, en plus de l’électrification et des équipements ruraux. Sa première phase (2015-2016) est entièrement financée sur fonds propres du Gouvernement du Sénégal à hauteur de 113 339 327 531F CFA. La spécificité du PUDC relève du fait qu’il est exécuté par le PNUD, en collaboration étroite bien sûr avec les services de l’Etat sénégalais. Que des levées de boucliers après cette décision de l’Etat qui, je le rappelle, repose sur des bases juridiquement fondées sur les Accords conclus depuis 1987 pour agir dans l’urgence, la transparence et la bonne gouvernance tout en assurant la performance. Les zones rurales concernées sont sélectionnées sur la base de la cartographie de la pauvreté et de l’absence ou du déficit d’accès aux infrastructures socio-économiques de base qui entrent dans le calcul de l’Indice de Développement Humain (IDH) dont les composantes sont le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation. Par ailleurs, l’approche par la demande a été au cœur de la conception du PUDC. Non seulement les demandes ont été exprimées à la base lors de la campagne présidentielle de 2012 mais elles l’ont été aussi à l’occasion des Conseils des ministres délocalisés de la capitale nationale, Dakar, vers les capitales régionales. A cela, s’ajoute le fait qu’il fallait maintenir une certaine cohérence avec les priorités définies dans le Plan Sénégal Emergent (PSE). Donc, on peut dire que le PUDC s’identifie le mieux au modèle de l’offre politique pour répondre à des demandes sociales aigües.

L’objectif principal du PUDC est de gommer les disparités en matière de développement économique et social entre les centres urbains et les zones rurales du Sénégal. Pour ce faire, il vise des secteurs bien définis et qui sont considérés comme stratégiques si on veut impulser une dynamique de développement endogène, intégrée et inclusive. A ce titre, le PUDC est construit sur 4 piliers que sont : la massification de l’accès aux infrastructures socio-économiques de base en milieu rural ; la relance de la productivité rurale, de la production agricole et de l’élevage ; le rehaussement des capacités institutionnelles des acteurs locaux et, enfin, le développement d’un système d’information géo-référencé qui, grâce à un renforcement des capacités en Suivi-Evaluation des programmes et projets de développement, servira de boussole et de tableau de bord pour guider les décideurs politiques et les investisseurs dans leurs actions futures.

Lors de la cérémonie de lancement du PUDC, la première phase d’exécution prévoyait la construction et/ou la réhabilitation de 3 050 km de pistes rurales, de 250 forages et châteaux d’eau pour raccorder 1 016 villages. Elle a visé aussi l’électrification d’au moins 325 villages et l’installation de 5 000 équipements de production et de transformation agricole (moulins, décortiqueuses, batteuses, etc.). Les pistes rurales devront permettre de désenclaver des zones reculées coupées du reste du pays et les mettre en relation, en communication avec le système socio-économique national. Les forages devront permettre de développer l’accès à l’eau potable et juguler ainsi en amont les maladies hydriques. Les forages sont aussi de formidables opportunités pour soulager les femmes qui s’assurent de la disponibilité de l’eau dans le foyer conjugal. De la même manière, les équipements de production et de transformation agricole participent non seulement à libérer davantage les femmes des travaux pénibles mais ils contribuent aussi à la création de valeur ajoutée agricole. De même, l’accès à l’eau a, de toute évidence, des effets positifs sur l’élevage et l’agriculture. L’accès à l’électricité ouvre des perspectives économiques intéressantes dans le monde rural. C’est dans cette même veine que le PUDC ambitionne également de soutenir l’entreprenariat rural basé sur la promotion et la diffusion de nouvelles techniques culturales modernes, de stimuler la création de Petites/Moyennes/Micro Entreprises en jouant l’« entremetteuse » entre les entrepreneurs et les organismes de financement en mal de mariage de raison. Dans ce sens, le PUDC veut relever le niveau de qualité des capacités techniques, organisationnelles, institutionnelles et communautaires à la base pour une meilleure qualité de service en milieu rural. Le renforcement des capacités se fait à deux niveaux à savoir : la maîtrise d’ouvrage et d’œuvre (réalisation des travaux d’infrastructures) et la maîtrise de techniques culturales, de la gestion administrative et financière et de la planification. Au final, ces objectifs devront contribuer à créer les conditions d’une productivité développante pour le monde rural.

Après deux ans de mise en œuvre par le PNUD, on devrait être en mesure de se demander où en est le PUDC c’est-à-dire au vu des objectifs intermédiaires et finaux, quel est son bilan de parcours, aussi bien en termes quantitatif que qualitatif. « Les résultats du PUDC sont plus que satisfaisants. Des centaines de villages ont été sortis de l’obscurité et du désenclavement, et ont pu avoir accès à l’eau (potable) et aux équipements pour l’allégement des travaux des femmes », nous répond le Président Macky SALL. Par la suite, il a demandé au Gouvernement d’activer la deuxième phase du PUDC (2017-2019). Tout d’abord, je dois avouer qu’il n’est pas aisé pour un citoyen lambda de faire le bilan quantitatif du PUDC. Comme je l’ai déjà dit, ce programme vient s’ajouter aux autres programmes de développement en cours comme le Programme quinquennal de 300 forages. En début d’août 2016, lors de la présentation du rapport sur le bilan d’étape du PUDC au Chef de l’Etat, on relève que le PUDC a réceptionné 113 forages et finalisé 68 châteaux d’eau. Alors, qu’il s’agisse des réalisations de l’un ou de l’autre programme, le bilan est toujours à l’actif du Gouvernement. Cependant, pour les besoins de clarté, de précision et de l’évaluation stricte du PUDC, il serait louable de savoir si on attribue strictement et exclusivement ces avancées au PUDC ou pas. Cette difficulté de faire une évaluation quantitative stricte du PUDC se pose également pour les volets énergie, pistes de désenclavement et équipements ruraux. A ce propos, il serait intéressant de disposer des résultats issus du Forum des experts et hommes d’affaires nationaux et de la diaspora sur le PUDC tenu le 6 juin 2016 à Dakar.

Par ailleurs, s’il est possible d’avoir des résultats chiffrés relevant strictement du PUDC, il ne semble pas aisé d’évaluer de manière qualitative les retombées de ce dernier sur la qualité de vie des populations rurales sans mener une enquête approfondie à l’image de celle que mène l’ANSD sur la pauvreté et la perception qu’en a la population cible. Même si le PUDC a le mérite d’apporter de nouvelles infrastructures socio-économiques de base au monde rural et de vouloir créer les bases d’une économie agricole et rurale, il ne faut jamais perdre de vue que toute innovation ne crée pas automatiquement chez le ou les destinataire(s) (ici les populations rurales) un sentiment d’adhésion et d’adoption. L’innovation étant définie par l’anthropologue Jean Pierre Olivier de Sardan comme « toute greffe de techniques, de savoirs ou de modes d’organisation inédits (en général sous forme d’adaptations locales à partir d’emprunts ou d’importations) sur des techniques, savoirs, et modes d’organisation en place », modifie l’organisation du système socio-économique marqué par des manières de vivre et de faire (les genres de vie) ancrées voire fossilisées dans le sédiment des habitudes et des cultures dont il n’est pas acquis d’orienter vers la direction tracée par l’offre politique qui peut même rencontrer des réflexes et des stratégies de résistance. Beaucoup de programmes de développement ont échoué ainsi par faute de ne pas prendre en compte et anticiper cette éventualité.

En dépit de ces quelques interrogations, compte tenu de la situation socio-économique du Sénégal, le PUDC peut contribuer à améliorer indéniablement le niveau de vie des populations rurales. D’ailleurs, il est cité en exemple de politique de développement rural au point d’être reproduit au Togo et d’intéresser des pays comme le Bénin, le Burkina Faso et Madagascar. Ces pays ont voulu s’inspirer de l’exemple du Sénégal qui représente, à leurs yeux, un laboratoire d’expérimentation. Face à cet engouement, l’Administratrice du PNUD, Helen CLARK, a même souhaité la labellisation du PUDC lors de la sixième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique à Nairobi au Kenya en fin août 2016.
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Sidy TOUNKARA
Docteur en Sociologie
CERTOP-CNRS UMR 5044-Axe TERNOV
Maison de la Recherche Bureau C358
Université Toulouse 2- Jean Jaurès
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