LE SENEGAL SE DIVISE AUTOUR DES ELEVES ENCHAINES DES ECOLES CORANIQUES

01 - Décembre - 2019

Un maître d'école coranique peut-il impunément maintenir ses élèves enchaînés? Le Sénégal se déchire sur une retentissante affaire confrontant traditions et droits de l'enfant, emprise des confréries religieuses et autorité de l'Etat.

L'image d'un garçon chaînes aux pieds a déclenché un vif débat dans ce pays ultra-majoritairement musulman.

Le sort de l'enfant et de ses camarades a envoyé leur maître, mais aussi leurs parents devant le juge. Il a provoqué le saccage d'un tribunal. Il est remonté jusqu'aux guides religieux, avec cette question: laisseront-il condamner le maître?

L'enfant sur la photo est élève, avec des dizaines d'autres, de la "daara" de Ndiagne (nord-ouest), une des milliers d'écoles coraniques du Sénégal. Il a été repéré traînant dans la rue le 22 novembre. Le scandale n'aurait pas éclaté - et n'aurait pas eu lieu d'être - si ceux qui l'ont trouvé n'avaient largement diffusé cette image sur les réseaux sociaux, disent de nombreux défenseurs du marabout, le maître coranique.

Dans un pays en développement, mais où la pauvreté affecte environ 40% de la population, de nombreux enfants déguenillés errent chaque jour jusque dans le centre de Dakar.

Human Rights Watch avait dénoncé en juin le fait que "plus de 100.000 enfants seraient forcés de mendier chaque jour par leur maître coranique, sous peine de brimades physiques ou psychologiques". Beaucoup de ces élèves, ou talibés, sont victimes d'abus sévères et de négligences qui ont entraîné la mort d'une quinzaine d'entre eux ces deux dernières années, selon l'ONG.

Tout cela dans une grande indifférence.

Mais, cette fois, les langues se sont déliées, pour accabler ou défendre le marabout et la coutume.

- "Un bon maître" -

D'autres enfants ont été découverts entravés dans l'école. Le maître, quatre pères et mères ainsi que le forgeron qui a confectionné les chaînes ont été arrêtés. Ils ont comparu mercredi devant le juge, et ont reconnu les faits.

Le maître coranique, Cheikhouna Guèye, a expliqué que les parents demandaient qu'on entrave les enfants pour les empêcher de fuguer, certains les amenant déjà entravés.

Les parents en sont convenus. Ils ont déclaré qu'ils voulaient juste que leur fils apprenne le Coran. Tous ont dit qu'ils n'auraient pas agi de la sorte s'ils avaient su que c'était interdit.

Le père d'un des enfants, Mor Loum, a dit à l'audience qu'il était paysan et que son fils avait fugué dix fois. "Quand il disparaît, j'arrête mon travail pour me mettre à sa recherche", a-t-il dit selon la presse.

Le parquet a requis deux ans de prison, dont deux mois ferme, contre Cheikhouna Guèye. Le jugement sera rendu mercredi. Mais quand les dizaines de proches, fidèles et autres maîtres coraniques venus soutenir Cheikhouna Guèye ont appris que la justice refusait de relâcher les prévenus avant cette date, ils ont passé leur colère sur les portes et les meubles du tribunal.

"C'est un bon maître coranique qui est mis en cause", a dit à l'AFP Moustapha Lô, président de la Fédération des écoles coraniques, qui compte plus de 22.000 daaras dans le pays.

"Il dispense un enseignement de qualité et dans des conditions décentes", comme les autres maîtres, ajoute-t-il, les dérapages étant selon lui des "cas isolés" imputables à la méconnaissance de la loi.

Enchaîner les enfants ne signifie pas les maltraiter, disent les partisans du maître.

- Puissantes confréries -

Ces maîtres, "on veut les humilier", a dit Abdou Samathe Mbacké. Ce dernier dirigeait une forte délégation de maîtres coraniques qui est allée prendre les instructions du calife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké.

Les mourides sont une des quatre principales confréries musulmanes du pays. Elles jouent un rôle prépondérant dans la vie des Sénégalais. Les chefs de ces confréries sont des figures éminemment respectées, très écoutées aussi des politiques.

Enchaîner les enfants est une "vieille pratique", a dit le chef de la délégation au leader spirituel des mourides. Il dénonce une campagne menée par des organisations étrangères de défense des droits humains.

Le calife a préconisé d'attendre le jugement. Des propos diversement rapportés par les médias comme temporisateurs ou menaçants pour la justice et l'Etat.

Le dossier, évoqué au parlement vendredi, est délicat pour le gouvernement. Le président Macky Sall a rendu visite au calife des mourides au lendemain du procès.

"L'Etat doit prendre ses responsabilités", a dit à l'AFP le sociologue Mamadou Wane, "aucune morale, aucune philosophie, aucune loi n'accepte" qu'on enchaîne des enfants.

Mais "on a un Etat qui se cache. L'Etat a peur" des religieux, tranche-t-il.

L'Obs avec AFP

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

07 - Janvier - 2025

sénégal : Une augmentation inquiétante des cas de viols dans tout le pays

Les cas de viol sont patents au Sénégal. Pour dissuader les bourreaux, l’Etat a corsé les sanctions, avec l’adoption de la loi criminalisant le viol et la...

07 - Janvier - 2025

Jean Marie Le Pen, figure de l'extrême droite française est décédé ce mardi

Jean-Marie Le Pen, figure de l'extrême droite française et finaliste de la présidentielle de 2002, est mort mardi à l'âge de 96 ans à Garches...

04 - Janvier - 2025

Bonne nouvelle pour les Médias : Le gouvernement promet de faire adopter une mise à jour de la loi sur la publicité au cours du premier trimestre de l’année

Le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, Alioune Sall, a assuré les entreprises de presse, vendredi, à Dakar, de la...

04 - Janvier - 2025

Bassirou Diomaye Faye veut une révolution du concept « Armée-Nation » au service du développement

« Le concept « Armée-Nation » a connu des transformations significatives sous le régime de Bassirou Diomaye Diakhar, intégrant les forces armées dans...

04 - Janvier - 2025

Meurtre de Diary Sow : Le meurtrier déféré, l’autopsie écarte la thèse du viol

Le commissariat de Malika a transféré, ce vendredi vers 15 h, El Hadj Modou Fall au tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye pour répondre d’une...