Les Etats traversés par le fleuve Sénégal se préparent au changement climatique

16 - Novembre - 2016

« Si vous déniez l’accès à l’eau à un pays, cela peut conduire à la guerre » Kabiné Komara, Haut-Commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal

La COP22 bat son plein à Marrakech. Consacré à la lutte contre le changement climatique, cet évènement draine depuis le 7 novembre plus de 30 000 participants venus de 190 pays.

Haut-Commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal, Kabiné Komara est ainsi venu participer le 9 novembre à une journée consacrée à l’enjeu des ressources en eau. L’an dernier, lors de la COP21, un pacte sur l’eau et l’adaptation au changement climatique dans les bassins des fleuves, des lacs et des aquifères, avait en effet été signé à Paris, engageant 280 partenaires.

Kabiné Komara est fréquemment sollicité dans des forums internationaux pour présenter l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), dont il est le Haut commissaire depuis mars 2013. Créée en 1972, elle associe les quatre pays parcourus par ce fleuve : la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Elle a été classée en 2016 comme le meilleur organisme de bassin au monde par la qualité de ses programmes et par son modèle de gestion partagée des eaux dans un cadre de coopération solidaire.

Les rencontres « Entreprendre avec l’Afrique du XXI° siècle »

Kabiné Komara avait ainsi participé à une journée d’échanges sur ce sujet à la Chambre des Lords, à Londres, le 24 octobre 2016. Le week-end précédent, cet ancien premier ministre de Guinée (2008-2010) et ancien directeur de département de la Banque africaine d’import-export avait participé aux rencontres Entreprendre avec l’Afrique du XXI° siècle, organisées par la région Normandie et la Communauté d’agglomération Seine-Eure sur le thème : « Nourrir le monde , l’équilibre alimentaire d’aujourd’hui et demain ». C’est lors d’une de ses haltes à Paris que j’ai pu le rencontrer et converser avec lui, chez Patrice Renault-Sablonière, vice-président du Forum de Bamako. L’occasion de découvrir un organisme de coopération régionale au fonctionnement bien huilé.

« Le fleuve, un cordon ombilical »

« Le fleuve Sénégal est le cordon ombilical du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie », expose d’emblée Kabiné Komara. « Mais au début des années soixante-dix, une grande sécheresse a frappé l’Afrique de l’Ouest. Le bétail mourait. L’eau salée remontait de l’océan jusqu’à 250 kilomètres en amont du fleuve. Les populations du nord du Sénégal et du sud-ouest de la Mauritanie étaient en grand danger. C’est alors que l’OMVS a été créé avec trois principes de base : le fleuve et ses affluents sont propriété internationale; leurs ressources sont exploitées de manière partagée et solidaire; tout ouvrage est une propriété commune ».

« Réduire la vulnérabilité »

« L’organisation vise plusieurs buts : réaliser l’autosuffisance alimentaire pour les populations du bassin et de la sous-région; sécuriser et améliorer leurs revenus ; préserver l’équilibre des écosystèmes ; réduire la vulnérabilité face aux aléas climatiques; valoriser au profit des États membres le potentiel hydroélectrique du bassin; accélérer le développement économique. Nous disposons de deux barrages, gérés par deux sociétés différentes : celui de Diama, au Sénégal, en amont de Saint-Louis, qui bloque la remontée d’eau de mer; et celui de Manantali, sur le Bafing, un affluent, au Mali, très important pour la production d’électricité, l’irrigation et la navigabilité du fleuve ».

« Protéger les têtes de source »

« Nous avons en effet quatre modes d’action principaux : la gestion de l’eau pour approvisionner les populations et développer l’agriculture, la production d’électricité, la protection des écosystèmes et la navigation de l’Atlantique jusqu’au Mali. Mais l’organisation est active aussi dans le domaine de la santé, avec la fourniture de moustiquaires permettant la lutte contre la bilharziose; la protection de l’environnement, et notamment de la trentaine de têtes de sources des principaux affluents du fleuve ».

« Elle a aussi un grand rôle dans la diffusion de l’information. Par exemple, durant l’hivernage, la saison des pluies qui s’étend de juillet à octobre, on diffuse chaque vendredi des messages sur les télévisions d’États et sur des radios locales, pour avertir des comportements à venir du fleuve ».

« Des objectifs parfois antagonistes »

« L’OMVS est, en fait, devenue un précurseur de l’adaptation au changement climatique. Notre ambition est de mettre en œuvre un programme de gestion intégrée et concertée des ressources en eau et des écosystèmes pour un développement durable du bassin. Et d’avoir une vision globale du développement du bassin du fleuve Sénégal, intégrant les différents objectifs sectoriels – parfois antagonistes – que sont l’hydroélectricité, la navigation, le développement de l’eau potable et de l’assainissement, le transport, le développement rural, l’exploitation minière et l’industrie. Cela nécessite une analyse fine des ressources en eau du bassin et des écosystèmes qui en dépendent ».

« Le rôle clé de la Commission permanente des eaux »

« Comment fonctionnons-nous? Le Haut commissaire est placé sous le contrôle du conseil des ministres et des chefs d’État et de gouvernement. Il réunit environ tous les trois mois la Commission permanente des eaux, un organe consultatif composé de représentants des États membres et chargé de définir les principes et modalités de la répartition des eaux entre les États et entre les différents secteurs d’activité. Des représentants d’usagers, de collectivités territoriales, d’organisations non gouvernementales et de comités de gestion décentralisés peuvent y obtenir le statut d’observateur ».

« Des décisions prises par consensus »

« C’est là que les arbitrages sont pris, sur la base d’indicateurs pluviométriques. C’est vraiment passionnant. Toutes les décisions sont prises en commun, sur la base du consensus. Cela permet de définir ensemble les enjeux et de prévenir les tensions ».

« Enclencher une nouvelle phase de développement »

« Je voudrais quant à moi enclencher une nouvelle phase de développement et de gestion de l’OMVS car les investissements initiaux s’essoufflent alors qu’il faudrait étendre notre action. C’est difficile car, tandis que les besoins sont toujours plus importants, les institutions financières sont devenues très regardantes et l’accès aux prêts est plus problématique ».

« Faciliter l’implication du secteur privé »

« Il nous d’abord faut réduire les coûts et offrir un service de qualité. Mais aussi développer l’autofinancement – par exemple par des crédits carbone pour substituer le transport fluvial au transport par route – ; rationaliser le système de décision; et obtenir de bons niveaux de certification ISO : cela renforcera la crédibilité de l’organisation et facilitera l’implication du secteur privé dans nos projets de développement, par des partenariats public-privé ».

« Convaincre les échelons politiques décisifs »

« Il faut aussi se donner plus de visibilité. Il y a une grande concurrence internationale pour accéder aux ressources financières, comme celle du Fonds vert pour le climat, et pour convaincre les échelons politiques décisifs. Tout cela sous la vigilance du Fonds monétaire international, qui veille à ce que les États ne s’endettent pas à des taux excessifs et que les niveaux de remboursement restent soutenables ».

« Un projet de barrage hydroélectrique »

« Or nous avons tant de projets : un barrage hydroélectrique, à Koukoutamba sur le Bafing, en République de Guinée qui permettrait d’élargir le bassin de population bénéficiant de l’hydroélectricité – un projet à 800 millions de dollars; l’extension des réseaux électriques – 500 millions de $ – et des programmes d’irrigation – 600 millions de $ ; l’aménagement du fleuve – 200 millions de $ – qui permettra de développer le commerce agricole régional (riz, sucre, poisson, intrants…) et de favoriser l’exploitation des mines de phosphates, de bauxite et de fer le long du bassin ».

« Une référence à travers le monde »

« Au fil du temps, l’OMVS est devenue une référence à travers le monde. Elle assure le secrétariat permanent du Réseau africain des organismes de bassin. Elle inspire par exemple les neufs pays du bassin du fleuve Niger (Guinée, Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Bénin, Nigeria, Tchad, Cameroun), ceux du bassin du fleuve Gambie (Guinée, Guinée Bissau, Sénégal, Gambie) ou ceux du haut bassin du Nil (Tanzanie, Burundi, Rwanda et Ouganda). Elle a aussi été invitée en 2015 en Jordanie lors d’une rencontre consacrée au Tigre et à l’Euphrate. ».

« Il n’y a pas de meilleur connecteur que l’eau »

« Le monde prend conscience que les fleuves internationaux peuvent être soit des facteurs de tensions et de crises, soit des vecteurs de paix et de sécurité. L’eau est vitale et indispensable à l’activité humaine. Il faut 70 litres d’eau pour produire le coton qui permettra de fabriquer un T-shirt. Il faut de l’eau pour nettoyer les panneaux solaires. Il faut même de l’eau pour construire une route et épandre du bitume en plein désert ! Si vous déniez l’accès à l’eau à un pays, cela peut conduire à la guerre. À l’inverse, il n’y a pas de meilleur connecteur que l’eau ».

« Un grand risque de conflit en Asie centrale »

« Les plus grands risques de conflit aujourd’hui sont en Asie centrale avec le Tadjikistan et le Kirghizstan, deux véritables châteaux d’eau, qui veulent construire des barrages hydroélectriques, et l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kazakhstan, en aval, qui dépendent de l’eau pour leur agriculture extensive. Mais il y a aussi de grandes tensions entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte, sur le Nil; entre les pays riverains du Mékong; ou entre la Chine, l’Inde et le Bangladesh au sujet du Brahmapoutre ».

« Pour une résolution à l’ONU »

« Pour prévenir les conflits, il serait bon d’élaborer au sein de l’ONU des principes de partage et de gestion commune des eaux. En avril dernier, en lien avec l’OMVS, le président sénégalais Macky Sall avait initié un débat informel du Conseil de sécurité sur le thème Eau paix et sécurité. Nous espérons l’adoption d’une résolution du conseil de sécurité ou de l’assemblée générale des Nations Unies d’ici la fin de l’année ».

LACROIX

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