Mort de Jacob Desvarieux, cofondateur de Kassav’, le groupe inventeur du zouk à l’influence mondiale
Commentant, il y a quelques mois, les ravages de la pandémie, il voulait se montrer optimiste sur l’évolution de la situation, « espérant que l’on ne perde pas trop d’amis en chemin ». Figure charismatique du collectif antillais Kassav’ dont il était un des cofondateurs en 1979, le chanteur et guitariste Jacob Desvarieux, grand gaillard à l’allure débonnaire, d’une santé plus fragile depuis une greffe du rein subie en 2013, est décédé le 30 juillet des suites du Covid-19 au CHU de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Il était âgé de 65 ans.
« Avec Pierre Edouard Decimus, le concepteur du groupe, qui jouait dans Les Vikings de la Guadeloupe [l’un des groupes leaders de l’île alors, ndlr], nous voulions faire de la musique guadeloupéenne pouvant être écoutée partout, mais franchement, nous ne pensions pas que ça allait marcher aussi bien », avait coutume de raconter Jacob Desvarieux, avec ces mimiques d’adolescent rieur qu’il continuait d’afficher au fil des années. Le premier album de Kassav’ (Love and Kâ Dance) paraît en janvier 1980 (produit par Freddy Marshall, cofondateur de Kassav’ également). Plusieurs fois disque d’or, disque de platine en 1988 (avec l’album Vini Pou), enchaînant une kyrielle de tubes, dont Zouk la sé sèl médikaman nou ni - son hymne, qui sera samplé par le groupe de hip-hop américain The Fugees -, Syé bwa, ou Oh Madiana, lauréat d’une Victoire de la musique en 1988 (« Meilleur groupe de l’année »), Kassav’ va devenir l’une des formations françaises les plus célèbres à travers le monde. Le collectif de musiciens se produit notamment en juillet 1989, dix ans après sa création, à Leningrad, en Union soviétique (trois concerts au Palais des sports, 14 000 spectateurs au total, dans un pays où ses disques ne sont pas distribués, rapporte alors le journal L’Humanité).
Eveilleur de consciences
Plus qu’un collectif, le groupe fonctionne comme une famille, chaque membre amène son savoir-faire : Jacob Desvarieux - chant et guitare -, Jocelyne Béroard - chant, elle a rejoint le Kassav’ en 1982 -, Jean-Philippe Marthély - chant -, Jean-Claude Naimro - claviers -, Georges Decimus - basse -, Patrick Saint-Éloi - chant, décédé en 2010. La formation a inventé le zouk, un style à part entière, repris par beaucoup d’autres musiciens. Une musique à l’entrain irrésistiblement dansant, aux vertus énergisantes, qui mixe gwo ka (musique traditionnelle de la Guadeloupe), biguine (emblème musical de la Martinique) et d’autres influences caribéennes, au rock et à la musique funk, avec de belles flambées de cuivres. Sans oublier d’y glisser des messages à réfléchir, des dédicaces à des hommes debout, des « guerriers ». A l’instar du titre Doubout pikan, l’un des singles de l’album All U Need is Zouk (2007) dans lequel Jacob Desvarieux, énumère les noms de Nelson Mandela, Eugène Mona, forte personnalité de la musique traditionnelle martiniquaise et de l’historien anthropologue sénégalais Cheikh Anta Diop.
Kassav’ se revendique éveilleur de consciences. « On a aussi bien du message identitaire, sociologique, écologique que des histoires d’amour à raconter », déclarera Jacob Desvarieux. Un message à raconter en créole. Ce parti pris procède pour Kassav’ d’une affirmation identitaire, comme l’était l’idée de départ motivant sa création. « Les Antilles françaises étaient largement squattées par les musiciens d’Haïti et le kompa [le son moderne et urbain d’Haïti, à partir de la fin des années 1950], il fallait réagir, développer la musique de chez nous, notamment en intégrant le tambour. C’était pour nous important de faire une musique évolutive immédiatement identifiable, même lorsque le tambour n’était pas là physiquement », déclarait au Monde Jacob Desvarieux, en 2009, à l’occasion du concert des 30 ans de carrière de la formation au Stade de France. Inspiré de la kassave, une galette de manioc mélangée à de la noix de coco, son nom reste encore une référence aujourd’hui. Le groupe a fêté ses quatre décennies en 2019 à la Défense Arena, à Paris, devant 40 000 personnes.
avec LeMonde