OPINION : DE LA LEGALITE DE L'ARRETE DU GOUVERNEUR DE DAKAR DE FERMER PROVISOIREMENT CERTAINES MOSQUEES (PAR SADIO CISSE)

22 - Mars - 2020

Par un arrêté N°027/GRD du 19 mars 2020, le gouverneur de la région de Dakar a décidé de la fermeture provisoire de mosquées dans la région sus-visée. Se pose alors la question de savoir si cet arrêté est pris en violation du principe de libre administration de communautés religieuses tel que garanti par l'article 24 alinéa 2 de la Constitution qui dispose « Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome ». Cet article pose clairement le principe de l'autonomie institutionnelle des communautés religieuses (I) qui serait en conflit avec la mesure d'ordre publique prise par le gouverneur de Dakar à travers son arrêté (II).
Du principe de l'autonomie institutionnelle des institutions et communautés religieuses
C'est un principe de droit administratif théorisé en grande partie par le doyen Maurice Hauriou. Ce principe veut dire que les institutions religieuses, en l’espèce les mosquées mais c'est aussi valable pour les églises et les autres lieux de culte, s'administrent librement. Les institutions religieuses ont leurs propres règles de fonctionnement et définissent leurs propres normes en vue de réaliser ce pour quoi elles ont été constituées. Elles sont comme des associations en ce qu'elles ont le pouvoir de sécréter leurs propres lois internes et de l'imposer à leurs membres, leurs fidèles. De ce principe découle le principe de non-immixtion de l’État dans les dogmes religieux. Les autorités étatiques ne peuvent s'interroger sur le contenu d'une croyance pour en déterminer le caractère religieux ou non ou en apprécier le caractère bon ou mauvais d'une croyance religieuse même si elle procède de l'apostat, de la mécréance ou de l'athéisme...
En cas de saisine d'un juge par exemple, l'appréciation de celui-ci ne peut porter que sur des comportements, des actes ou des paroles accomplis au nom de la religion et qui peuvent être contraires à l'ordre public. Par contre, le juge commettrait une forfaiture s'il lui arrivait de faire une appréciation sur les croyances religieuses. Ni le juge ni les autorités administratives ne doivent faire une distinction entre une religion et une secte car ce n'est pas du ressort du temporel qui est par essence le domaine de prédilection d'un État laïc comme le Sénégal. A titre d'exemple, la Cour d'Appel de Paris a jugé en 1912 à propos d'une demande de nullité d'un testament formulé en faveur d'une secte que « Toutes les croyances religieuses sont essentiellement respectables, pourvu qu'elles soient sincères et de bonne foi et il n'appartient pas à des juges civils, quelle que soit par ailleurs leurs croyances, de les critiquer ou de les condamner ». C'est dans le même sens qu'il faut comprendre le refus systématique du président de la République Macky Sall de prendre part aux débats religieux, sur les dates des différentes fêtes religieuses. Ainsi il traite les différentes communautés religieuses avec équidistance et à égale dignité. Mais cette position ne l'empêche pas de défendre notre ordre public religieux face à d'autres principes défendus et promus ailleurs, comme son refus de dépénaliser la pratique d'actes contre nature entre individus de même sexe.
A la lumière de tout ce qui précède, nous constatons que le principe d'autonomie des institutions religieuses n'a pas vocation à soustraire celles-ci du droit commun mais seulement à leur accorder une liberté dans la gestion des affaires intérieures de leurs cultes. Sur cet aspect, l'arrêté du gouverneur de fermer provisoirement certaines mosquées ne viole en rien l'article 24 alinéa 2 de la Constitution sur le principe d'autonomie des institutions et communautés religieuses.
Du principe d'ordre public qui sous-tend l’arrêté du gouverneur de fermer des mosquées
Généralement l'ordre public est défini comme étant l'ensemble des règles obligatoires qui touchent à l'organisation de la Nation, à l'économie, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu...
Cet ordre public est garanti par l’État est du ressort de la police administrative et relève du ministère de l'intérieur et par conséquent de ses services déconcentrés que sont le gouverneur, le préfet, le sous-préfet selon le territoire concerné. Si l'ordre public est menacé, l’État doit prendre des mesures de police générale de l'ordre public. Ces mesures de police existent même sans texte. Pour les autorités qui en sont chargées, ce n'est pas simplement une faculté mais dans certains cas c'est une obligation. En effet, dans certains cas, la carence dans la mise en œuvre de ces mesures de police peut engager la responsabilité de l’État comme l'a jugé le Conseil d’État français le 14 décembre 1962 dans l'affaire Doublet.
Donc, pour préserver la santé publique, qui est une composante essentielle de l'ordre public, les autorités compétentes peuvent prendre des mesures coercitives restrictives de liberté et ou de droits comme en l’espèce, la fermeture provisoire de mosquées ou autres lieux publics ou ouverts au public. Dans ce sens, le Conseil d’État français a jugé le 19 mars 2007 dans une affaire Mme Gac, que pour préserver la santé publique, composante de l'ordre public, le Premier ministre peut interdire de fumer dans les lieux publics.
Aussi, la jurisprudence constante des circonstances exceptionnelles (CE, 28 juin 1918, Heyriés et 28 février 1919, dame Dol et Laurent) permettant d'atténuer la rigueur de la légalité en permettant à l'autorité administrative de prendre certaines mesures, qui seraient illégales en temps normal, pour faire face à la situation. Heureusement que le droit n'est jamais quelque chose de figé, mais quelque chose de vivant qui s'adapte à la réalité qui d'ailleurs fait le droit. L’éminent commissaire du gouvernement Romieu dans ces conclusions sur l'affaire société immobilière de Saint-Just jugée par le tribunal des conflits le 2 décembre 1902 disait : « Quand la maison brûle on ne va pas demander au juge l'autorisation d'y envoyer les pompiers ».

Kaaw Sadio Cissé, le Mollah
Juriste et Coordonnateur de la Fédération « Leketbi » de
LDR/YEESAL/FRANCE

 

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