Opinion : L’épreuve Covid-19 est-elle le début de notre mise en examen ?
On ne dira jamais assez les bouleversements consécutifs à la pandémie de la Covid-19. Au-delà des aspects sanitaires qui sont bien sûr les premières conséquences dramatiques de cette crise avec ses centaines de milliers de morts à travers le monde, on peut aussi constater les ravages sur le plan économique et social qu’entraîne ce virus venu de Chine. Nous sommes dans une ère de grands bouleversements, de réorganisations globales du système économique et de reclassements politiques. La montée en puissance des périls qui menacent l’humanité se manifeste par les multiples crises économiques, sanitaires, écologiques, démocratiques, étroitement imbriquées.
De tout cela il a déjà été amplement parlé ici et là et mon intention n’est pas de contribuer à ce débat, tout ou presque ayant déjà été dit. Mon propos concerne plutôt les aspects sociétaux non moins importants pour une vie collective harmonieuse.
Je ne reviendrai pas sur les répercussions que le confinement a provoqué au sein des familles avec une multiplication des coups et blessures à l’intérieur de nombreux foyers, que ce soit à l’égard des conjoints ou des enfants. On estime leur augmentation à plus de 30%, ce qui est considérable et montre à quel point la vie en commun, y compris dans un cercle parental, est fragile.
Je voudrais surtout relever deux phénomènes sur lesquels les observateurs et les médias n’ont accordé que peu d’intérêt, l’un provoque un impact négatif et l’autre positif sur notre vie en société. Ce fléau comme l’a remarqué si bien Édouard Philippe, révèle le pire et le meilleur en nous.
Le premier d’entre eux, on le constate quotidiennement, a trait à une irritabilité à fleur de peau et une agressivité prompte à se manifester chez nos compatriotes. On ne compte plus les injures et les incivilités, mais plus graves les agressions physiques les bagarres entre bandes sur les bases de loisirs, quand ce n’est pas entre individus refusant de porter le masque dans des magasins malgré l’injonction des vigiles, etc. Le confinement, puis le déconfinement à libéré les instincts les plus vils qui sommeillent chez beaucoup d’individus. Ce côté grégaire ressurgit à chaque fois dans des moments semblables comme si l’homme était incapable de calmer ses ardeurs et dominer ses pulsions. De la même manière on n’a jamais tant transgressé les règles, pris autant de liberté avec les interdictions, que ce soit sur la route ou pour le respect des distanciations. Cela fait dire à beaucoup d’observateurs politiques que l’automne sera très chaud avec une rentrée sociale qui sera marquée par un nombre accru de chômeurs, du nombre de faillites d’entreprise et de plans sociaux. De là, à dégénérer en émeutes urbaines il n’y a qu’un pas que d’aucuns franchiront sans retenue.
Le second phénomène est quant à lui positif. Parallèlement à ce climat de tension, cette ambiance délétère, on observe en effet un très grand nombre d’actes de solidarité. Beaucoup de gens avouent ainsi porter un masque non seulement pour eux-mêmes mais pour protéger les autres, et pas seulement leurs proches. Il y a là une forme d’empathie qu’on ne constatait pas auparavant. De même que les encouragements qu’ils n’ont cessé de témoigner durant plusieurs mois au personnel soignant, aux pompiers, aux caissières d’hypermarché et aux éboueurs, est inédit. Le meilleur, outre l’attitude exemplaire de beaucoup, c’est le choix historique de résister en commun à la pandémie, alors que jadis on sacrifiait immédiatement les plus faibles. Au total nous réagissons plutôt bien avec solidarité et inventivité, de plus la Covid si dure envers l’individu n’est qu’une écharde pour l’espèce.
Dans le monde, les études le montrent, que les pays sont fracturés, fracturés socialement, fracturés économiquement et fracturés territorialement, les tensions internationales en sont la meilleure expression. Sous l’effet de la pandémie les pays peuvent soit se ressouder autour d’une sorte d’union nationale soit exploser sous l’effet des égoïsmes, des individualismes. Cela a souvent été le cas à travers l’histoire lorsqu’il a fallu à l’homme d’affronter des épreuves et des échéances dramatiques. Les hommes se trouvent à ce moment de leur existence où ils évoluent sur le fil du rasoir, et on ne sait trop de quel côté ils vont tomber. Leur tentation peut être grande de succomber aux vieux démons de la division. Ils peuvent aussi faire preuve de responsabilité, de maturité. Tout est possible. Les mois à venir nous le diront en sachant que ce qui vaut pour un pays déterminé vaut pour la plupart des pays de la planète tant les conséquences sociétales de cette pandémie affectent tous les habitants du globe. En fait le vrai test n’est pas ce qui vient de se passer, mais ce que nous en retiendrons demain.
L’humanisme va-t-il triompher du matérialisme, telle est la grande question de l’heure à laquelle les citoyens du monde doivent répondre. Une question aussi à laquelle les philosophes d’aujourd’hui sont confrontés
Ibrahima THIAM, Président du mouvement AA