OPINION : MOUNIROU SY OU LE DROIT A L’ENVERS (PAR SEYBANI SOUGOU)

07 - Mai - 2020

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » Rabelais

Ancien Directeur Général du Bureau Sénégalais du Droit d’auteur (BSDA), Mounirou SY connaît probablement ce célèbre adage juridique latin « Fraus omnia corrumpit » qui signifie « la fraude corrompt tout ». Dans un article, où se mêlent approximations et amalgames, Mounirou Sy prétend avec audace, que les décrets de Macky Sall prorogeant l’état d’urgence sont légaux. Si les sirènes du pouvoir paraissent irrésistibles, Il est pour le moins curieux qu’un Professeur de Droit Constitutionnel, et Conseiller spécial du Président en arrive à dénaturer à ce point la règle de droit. Il y a là quelque chose qui échappe à la rationalité humaine. Mais, passons…. Pour Mounirou, « la base juridique des décrets de prorogation de l’état d’urgence est la loi d’habilitation ». La démonstration est simpliste et une lecture attentive des textes prouve que son argumentaire ne repose sur aucun fondement juridique. Venons en justement aux textes :

• Article 69 de la Constitution (alinéa 2) : Le décret proclamant l’état de siège ou l’état d’urgence cesse d’être en vigueur après douze jours, à moins que l’Assemblée nationale, n’en ait autorisé la prorogation.

• Article 77 de la Constitution « L’Assemblée nationale peut habiliter par une loi le Président de la République à prendre des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Dans les limites de temps et de compétence fixées par la loi d’habilitation, le Président de la République prend des ordonnances qui entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant la date fixée par la loi d’habilitation ».

Observation n°1 : La loi d’habilitation n° 2020-13 du 02 avril est inconstitutionnelle

Une loi habilitant le Président à légiférer par ordonnances et une loi de prorogation de l’état d’urgence sont de 2 lois de nature juridique différente, qui doivent faire l’objet de 2 passages distincts, à l’assemblée nationale (2 autorisations distinctes doivent être données, la première pour l’habilitation à légiférer par ordonnances et la seconde pour autoriser la prorogation de l’état d’urgence). L’état d’urgence est institué par décret, et relève d’un régime juridique spécifique (l’article 69 de la Constitution et la loi n°69-09 de la loi du 29 avril 1969). Ses dispositions ne peuvent en aucun cas, être insérées dans une loi d’habilitation. Il n’a échappé à aucun juriste sérieux que la loi d’habilitation n°2020-13 du 02 avril est inconstitutionnelle par l’imbrication de 2 textes aux finalités opposées. L’argumentaire de Mounirou Sy consistant à dire que la loi d’habilitation est la base juridique des décrets de prorogation de l’état d’urgence s’effondre comme un château de cartes (la loi est inconstitutionnelle). Nous aurions pu en rester là, puisque la messe est dite. Mais, poursuivons l’analyse….

Observation n°2 : L’article 77 de la Constitution habilite le Président à légiférer par Ordonnances

Aux termes de l’article 77 de la Constitution, la loi peut habiliter le Président à légiférer par Ordonnances « procédure législative déléguée ». L’article 77 de la Constitution n’habilite pas le Président à prendre des décrets, mais des ORDONNANCES (dont le contenu est législatif) ; lesquelles ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant l’assemblée nationale avant la date fixée par l’article 2 de la loi d'habilitation (3 mois à compter de la publication de l’ordonnance). Le Professeur Mounirou ignore-t-il que l’habilitation conférée à l’article 77 de la Constitution concerne des Ordonnances et non un quelconque décret de prorogation de l’état d’urgence ?
Je n’ose pas une seule seconde y croire. En droit, une ordonnance est une mesure prise dans des matières relevant du domaine de la loi, alors qu’un décret est un acte réglementaire ou individuel. Aucune confusion n’est possible entre ces 2 actes dont la nature juridique est distincte. Du reste, la hiérarchie des normes tombe comme un couperet, pour mettre fin au débat : une ordonnance appartient au bloc législatif, tandis qu’un décret appartient au bloc réglementaire. D’ailleurs, la première ordonnance prise, après l’adoption de la loi d’habilitation est intitulée « Ordonnance 001-2020 aménageant des mesures dérogatoires au licenciement et au chômage technique durant la période de la pandémie de Covid-19 ». Manifestement, Mounirou méconnait la portée de l’article 77 de la Constitution qui n’habilite pas le Président à prendre des décrets de prorogation de l’état d’urgence. L’article 77 est clair, net et précis : l’habilitation concerne les ordonnances.

Observation n°3 : Tous les décrets de Macky Sall prorogeant l’état d’urgence sont illégaux

L’article premier du Décret 2020-2014 du 03 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 02 juin dispose « qu’en application de l’article 4 de la loi d’habilitation, l’état d’urgence proclamé par le décret n°2020-830 du 23 mars 2020 est à, nouveau prorogé pour 30 jours ». C’est faux. En effet, l’article 4 de la loi d’habilitation dispose « est autorisé, au-delà de la période de 12 jours de l’état d’urgence déclaré par le Président de la République, la prorogation de celui-ci pour une période de trois mois à compter de la publication de cette loi. Il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret avant l’expiration du délai fixé par la loi prorogeant l’état d’urgence ». En réalité, l’article 4 de la loi d’habilitation n° 2020-13 du 02 avril, n’a jamais prévu une prorogation de l’état d’urgence par décret, ni un séquencement par phase, d’un mois renouvelable. La prorogation de l’état d’urgence par décret et le phasage, sont une pure invention juridique de Macky Sall, qui s’est octroyé un pouvoir d’appréciation qui n’est prévu dans aucun texte. Au contraire, l’alinéa 2 de l’article 4 précise qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret, avant l’expiration du délai fixé…. Au titre de son pouvoir réglementaire, le Président peut prendre 2 décrets dans le cadre de l’état d’urgence : un décret pour proclamer l’état d’urgence (alinéa 1 de l’article 69 de la Constitution) et un décret pour y mettre fin de manière anticipée (alinéa 2 - article 4 de la loi d’habilitation). Il ne peut jamais, par décret, proroger l’état d’urgence. La sortie du Constitutionnaliste Ngouda MBOUP précisant que « le président de la République n’est pas habilité à proroger l’état d’urgence » et concluant que « les décrets présidentiels portant prorogation de l’Etat d’urgence n’ont aucune base juridique », clôt le débat. La prorogation de l’état d’urgence est une compétence exclusive du l’assemblée nationale (alinéa 2 –article 4 de la loi d’habilitation, il est écrit loi prorogeant l’état d’urgence ». Dans une ultime énergie du désespoir, Mounirou Sy affirme que si les décrets de prorogation de l’état d’urgence étaient illégaux, la chambre administrative de Cour suprême serait saisie, aux fins d’une annulation. Ben voyons ! Mounirou Sy ignore-t-il à ce point que le Sénégal n’est pas un Etat de Droit sous le magistère de Macky Sall et que l’actuel Premier Président de la Cour suprême, himself, M. Mamadou Badio Camara est dans l’illégalité totale depuis le 09 avril 2020, date à laquelle il devait faire valoir ses droits à une pension de retraite ?

Au XV siècle, Rabelais affirmait, et à juste titre que « L’âme qui n’est pas assujettie à l’esprit connecté au souffle sacré pour être inspirée par Elohîms ne peut produire que de la folie pour la ruine de l’homme ». Assurément, Mounirou Sy devrait méditer de tels propos.

Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr

 

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