Populations Touba-Tranquil de Casamance: Ces hôtes «sénégalais» étrangers qui vivent parmi nous

03 - Juillet - 2020

« Sénégalaises, Sénégalais, chers hôtes étrangers qui vivent parmi nous...» : cette formule d’usage revient dans presque tous les discours à la nation du président de la République. Les populations de Touba-Tranquil, à la frontière sénégalo-gambienne, se retrouvent-ils dans cette phrase rituelle ? Des habitants qui sont loin d’être des étrangers vivant parmi nous, certes, mais qui s’interrogent quant à leur "Sénégalité" effective. Citoyens sénégalais à part entière, ils ne sont pas loin de se considérer comme des Sénégalais entièrement à part. Lorsque, en 1982, une rébellion armée a éclaté en Casamance, le village frontalier de Touba-Tranquil a servi de base arrière aux rebelles. Lesquels avaient fini par administrer ce village jusqu’à le transformer en bastion.

La nature ayant horreur du vide, l’ex-président Yaya Jammeh avait profité de la situation pour multiplier les audiences foraines à Touba-Tranquil où il a réussi à naturaliser de nombreux citoyens sénégalais. Au delà de ces campagnes de naturalisation « cartes d’identité gambiennes » en main, cette portion de territoire « oubliée » par l’Etat du Sénégal s’était transformée en bastion de réseaux criminels transfrontaliers. Près de 40 ans après, la plupart des populations de Touba-Tranquil sont en train de subir les conséquences sociales de cette naturalisation fantôme. La preuve par la distribution des denrées alimentaires « Covid19 » entreprise par l’Etat pour aider les ménages démunis. Une distribution de laquelle de nombreux pères de familles de Touba-Tranquil sont zappés !

Comme le déplore le sieur J. D, vivant dans une précarité extrême. « Dommage que certains d’entre nous ne remplissent pas les critères pour pouvoir bénéficier de cette aide alimentaire puisqu’ils détiennent une carte d’identité gambienne. Je profite de cette occasion pour demander au président Macky Sall de nous aider à avoir des cartes d’identité sénégalaises afin que nous puissions nous débarrasser de ces nationalités fictives » regrette-t-il. Puis notre interlocuteur de se justifier : « Parce que bien avant l’implantation de l’Armée et de la Gendarmerie dans ce village, on payait nos impôts et taxes à l’Etat gambien alors que nous sommes sénégalais. Malheureusement, les gouverneurs et préfets de l’ancien régime de Yaya Jammeh avaient profité de cet état de fait pour nous imposer leur nationalité » soutient ce père de famille de Touba-Tranquil où la présence de nos forces de défense et de sécurité a fait déménager les réseaux criminels.

Des brigands, en quelque sorte, qui coupaient des routes, braquaient les automobilistes et les passagers avant de les dépouiller de leurs biens. Les plus malchanceux sont égorgés ou canardés à la Kalachnikov. Qui s’adonnaient aussi à la culture et au trafic du chanvre indien. ils ne manquaient pas, à l’occasion, d’attaquer les militaires sénégalais dans leurs cantonnements. Après leurs exactions, ils se repliaient pour la plupart dans leur zone d’impunité qu’est Touba-Tranquil afin de mieux rallier la Gambie voisine.

Sous Macky, l’Armée a marqué son territoire…
Depuis 38 ans (1982-2020), la géopolitique criminelle entre le Sénégal et la Gambie était symbolisée par Touba-Tranquil. Il a fallu l’arrivée du président Macky Sall à la magistrature suprême (2012) pour que le village de Touba-Tranquill se libère petit à petit de l’emprise gambienne. Sous le magistère du successeur du président Abdoulaye Wade, ce village « oublié » a reçu pour la première fois de son existence la visite d’un ministre sénégalais. Il s’agit de l’ancien ministre de l’Education nationale, Serigne Mbaye Thiam, qui avait quitté Dakar pour se rendre « officiellement » à Touba-Tranquil. C’était en février 2016.

Le ministre de l’Education d’alors avait été accueilli par des populations en liesse. Une visite historique que Vieux F. Sagna raconte au « Témoin » quotidien avec enthousiasme. « C’est ce jour-là que les habitants de Touba-Tranquil se sont vraiment sentis sénégalais. ici, plusieurs générations de jeunes ne connaissaient que les écoles gambiennes. Dans les boutiques, dans les marchés, on utilisait la monnaie gambienne, le dalasi, alors que nous étions bel et bien en territoire sénégalais. Pis, personne n’osait afficher son appartenance au Sénégal de crainte d’être enlevé ou tué par des rebelles. Vous croyez que cela était normal ? » nous interpelle ce notable de Touba-Tranquil.

La « colonisation » gambienne de ce village n’est, heureusement, plus qu’un mauvais souvenir aujourd’hui. Pour marquer son territoire, l’Etat du Sénégal a beaucoup investi à Touba-Tranquil en y construisant plusieurs infrastructures et édifices publics sur lesquels flotte le drapeau national « vert-or-rouge » : une école, un lycée, un marché, une mairie, une sous-préfecture, un poste de santé etc. Mais l’une des doléances les plus pressantes des populations était la sécurité des personnes et des biens. Et comme les questions sécuritaires constituent une préoccupation majeure pour le Président Macky Sall, il a doté la commune de Touba-Tranquil d’une base militaire et d’un poste de gendarmerie dépendant de la brigade de Diouloulou.

Selon un officier de la maréchaussée, il s’agit d’un poste avancé du secteur frontalier de Ziguinchor. « Récemment, le commandement de la gendarmerie a renforcé ce poste de Touba-Tranquil en équipements et en effectifs pour mieux sécuriser les populations » rassure-t-il. Et pour consolider leur présence dans ce village frontalier de la Gambie, soldats et gendarmes ont été instruits de multiplier les opérations conjointes de sécurisation le long des frontières avec la Gambie et la Guinée-Bissau. Selon l’ex-capitaine A. h., ancien commandant de compagnie du Bataillon des parachutistes, les populations de Touba-Tranquil ont toujours souffert d’une absence de délimitation des frontières qui ne profitait qu’aux bandes armées. « Aujourd’hui, on se réjouit de l’implantation d’une base militaire et d’un poste de gendarmerie à Touba-Tranquil. Ces déploiements de souveraineté doivent effectivement constituer une occasion pour l’Armée nationale d’intensifier sa présence dans cette zone frontalière. Comme on l’avait fait en 2008 avec l’opération « Kadiolock » menée par les commandos et les paras qui avaient ratissé et nettoyé la frontière jusqu’à Kolda » se souvient-il.

Malgré quelques escarmouches, le processus de paix initié par le président Macky Sall est sur de bons rails. L’Armée nationale entend démontrer qu’elle est bel et bien présente sur toute l’étendue du territoire national où elle n’entend céder aucun pouce de terrain à une quelconque rébellion.

Demain, une ligne de démarcation !
Si, depuis 1982, différents rounds de négociations ont eu lieu entre l’Etat et le Mfdc au cours desquels divers sujets ont été abordés, la délimitation et la matérialisation des frontières, elles, n’ont jamais été prise au sérieux. Un facteur favorisant des nids de repli pour les rebelles. En effet, cette absence de délimitation complique les actions militaires dans certaines zones où les unités de l’Armée ne savent pas où s’arrête réellement le territoire national. Difficile dans ces conditions d’user de leur droit de poursuite pour traquer les malfaiteurs. Toutes choses qui font qu’aujourd’hui, il est grand temps pour l’Etat d’œuvrer à la délimitation et à la matérialisation de ses frontières avec la Gambie et la Guinée-Bissau.

C’est cette absence de délimitation claire qui explique également que nos pêcheurs soient canardés comme des lapins par les soldats mauritaniens en certains endroits du fleuve Sénégal, frontière naturelle entre les deux pays. A défaut de murs ou de barbelés, au moins des bornes en béton armé devraient matérialiser sur le terrain les limites géographiques de notre pays. Certes, la délimitation des frontières ne peut nullement séparer des pays mais elle peut au moins servir de ligne de démarcation ou de ligne rouge à ne pas franchir. D’ailleurs, Me El hadj Guissé, ancien juge de la Cour africaine des droits de l’homme, n’est pas loin de penser cela. L’éminent juriste déplore le cas de la Gambie, un petit pays quasiment enclavé dans le Sénégal. « A la Conférence de Berlin, les colonisateurs ont séparé l’Afrique sans jamais y mettre les pieds. Sinon, ils n’auraient pas séparé de cette manière le Sénégal de la Gambie. Et ceux parmi les observateurs qui disaient que la Gambie était un cadeau offert au roi d’Angleterre ne se sont pas trompés » s’offusque-il.

En tout cas une chose est sûre : la paix ne pourra s’installer durablement en Casamance, et la sécurité définitive restaurée, sans la matérialisation des frontières comme clé de verrouillage du Sénégal.

Le Témoin

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