Portrait: Omar Sy, héraut malgré lui
L’acteur, personnalité préférée des Français, s’affranchit du symbole et définit sa liberté en solitaire.
Dans une France fragmentée, fracturée voire fracassée (gradation plus ou moins optimiste), Omar Sy est aimé. Follement. Du bobo au populo. Cet été, l’acteur de 38 ans a délogé Jean-Jacques Goldman en tête du classement des personnalités préférées des Français, place qu’il avait déjà occupée en 2012, surfant sur le raz-de-marée Intouchables (19 millions d’entrées, un césar). A l’heure des pyromanes, qui ne jurent que par «Nos ancêtres les Gaulois», un ex-banlieusard, noir et musulman, endosse le rôle de doudou national. Schizophrénie hexagonale ou espoir d’un vivre-ensemble pas trop cabossé ? Tout ça glisse sur Omar Sy, peut-être parce que l’homme est lisse. Aux Etats-Unis, où il s’est exilé après Intouchables, «lisse» se dit «smooth». Qui signifie aussi «classe, à l’aise, malin». Ni défaut ni insulte. Etre rassembleur - donc lisse - demande intelligence hors normes et charisme solaire. Ce lundi de novembre, en conclusion d’un interminable «press juncket» dans un palace parisien, Omar Sy tutoie facilement, et ne montre aucun signe de fatigue. La maquilleuse se trouve superflue : «Omar a une peau parfaite.» Smooth, comme sa chemise de satin bleu.
Citizen Sy.
En Californie, il vit au nord de Los Angeles, «à la campagne, là où les chevaux ont la priorité». Ses filles font de l’équitation, pas lui. Il n’en dira pas plus. Les sites people nous apprennent qu’il est propriétaire d’un manoir rococo dans une enclave reculée et sécurisée pour stars, bien nommée Hidden Hills («collines cachées»). Son anglais est désormais assez bon pour qu’il puisse écouter les rimes de Chance the Rapper en VO. Vu à l’écran entre un troupeau de vélociraptors et une pléiade de super-héros, on l’imagine américanisé au stade terminal. Il en rigole, mais ça l’agace. Il ne se voit pas comme un expatrié : il multiplie les allers-retours, et ressent «de l’intérieur» ce qui se passe en France, «ce pays que j’aime, je le répéterai autant qu’il faudra». Aux States, on lui confie le rôle du Français générique. Mais dans son pays natal, «si je ne suis pas le Noir, je suis le mec de banlieue… ou l’Américain maintenant ! C’est quoi votre problème les gars ? Vous pouvez pas me laisser être français deux minutes ?»
Balavoine réticent.
Le mois dernier, il s’est emporté contre les «guignols» annonciateurs de guerre civile qui squattent le petit écran pour vendre «du vomi» en librairie. Mais le natif de Trappes décline le rôle de porte-parole des cités, lucide, lui qui n’y vit plus depuis un bail. «Les gens de télé cherchent toujours le nouveau Balavoine… La liberté d’expression, c’est aussi celle de fermer sa gueule.» Il se méfie des grandes déclarations et de «ce qui est figé», parce que «vivre, c’est changer d’avis». Il sort de sa réserve «quand ça [le] touche», comme la mort d’Adama Traoré, jeune Noir décédé entre les mains de la police. Il vote à la présidentielle, garde secrètes ses inclinations. Il dit que ses choix de films, des comédies sociales du duo Toledano-Nakache au récent Chocolat, en disent assez. Tout comme sa lecture du moment, Petit Pays, de Gaël Faye, sur les guerres au Burundi et au Rwanda. Conscient que le mood contemporain est à la «crispation générale», il reste persuadé que «les frontières n’existent que sur les mappemondes».
Poisson hors de l’eau.
Il explique que son potentiel comique tourne souvent autour du concept hollywoodien de «fish out of water». Dans la vie, c’est pareil. Fratrie de huit, père sénégalais ouvrier, mère mauritanienne femme de ménage, il connaît la rareté de sa trajectoire. «Acteur, c’était pas prévu. Je le suis devenu avec Intouchables, avant, je faisais juste des films un peu comme ça…» Il «peine à s’approprier les choses» mais se sent à l’aise partout. «Parce que je suis curieux : je fuis les cages à lapins.» Quant à la richesse, le désormais millionnaire dit qu’elle lui a surtout acheté du temps. Il esquive avec une citation apocryphe de Bob Marley : «Les plus pauvres sont ceux qui n’ont que l’argent.» Lui a ses quatre enfants, de 6 à 15 ans, et sa femme, Hélène, ex-attachée de presse normande rencontrée avant la célébrité. Elle dirige leur association dédiée aux enfants hospitalisés. Dans son dernier film, Demain tout commence, tire-larmes aux grosses ficelles, il incarne un fêtard irresponsable obligé d’improviser une paternité solitaire. «Parent, y a pas de mode d’emploi, et personne n’aura 20 / 20. Mais si on est quelqu’un de bien, on bricole, et on s’en sort toujours.» Il assure que ses gamins ont conscience «du trajet, de ce que le grand-père [tisserand peul arrivé seul en France, en 1969, ndlr] a fait». La famille, c’est aussi les frères, qui trouvent toujours un job sur ses films. «Il a gardé les mêmes personnes autour de lui. Même son banquier !» assure Laurent Grégoire, agent depuis ses débuts télé.
Homme pansement.
Les Américains ont vu dans le Driss d’Intouchables un énième avatar du «nègre magique» théorisé par Spike Lee, soit le Noir sans passé ni attaches dont la seule fonction est d’alléger les tourments des Blancs névrosés qui l’entourent. Laurent Grégoire voit Sy comme un «réconciliateur national, un acteur pansement qui fait du bien à la société». L’exemplarité, la popularité, Omar Sy refuse ces fardeaux-là. «Porter tout ça, ce serait un manque d’humilité folle. Ça ne me regarde pas car c’est hors de ma volonté. Je suis touché par cette reconnaissance, mais elle ne m’appartient pas.» Lorraine Lévy, qui vient de le diriger dans une adaptation de Knock, raconte qu’après les longues journées de tournage, il prenait une heure pour rassasier ses fans de selfies et d’embrassades. «Les gens veulent le toucher, comme s’il guérissait les écrouelles», confirme Grégoire.
Omar sans Fred.
Sur Canal +, ils furent un couple créatif et fécond pendant quinze ans. Pour ce portrait, Fred Testot ne s’exprimera pas. Ils ne sont pas brouillés, mais… «on a des envies chacun de son côté…» dit Omar Sy. Leur projet de film commun, African Dreams, est tombé à l’eau. «Il y a un manque, une nostalgie évidemment. Cette fusion n’était pas fabriquée. C’est juste qu’on a plus le temps de la vivre.» L’un est déjà à Hollywood, débloque des financements, parle directement aux producteurs. «D’un point de vue contractuel, c’est la plus grosse star avec Dujardin et Cassel», assure Grégoire. L’autre trépigne sur les planches parisiennes. Un proche du duo : «Fred rêvait d’être acteur dramatique. Omar pas spécialement. La vie est injuste. Quand la fusée est partie sur orbite, c’était impossible que tout le monde puisse suivre. Omar a dû se débrancher. Et encore, c’est remarquable tout ce qu’il a réussi à sauver, comme sa famille. Mais il y a eu des dommages collatéraux, c’est sûr», ajoute l’ami commun. Le propre de l’astre est qu’il réchauffe autant qu’il brûle.
20 janvier 1978 : Naissance à Trappes (Yvelines).
1997 : Radio Nova.
2005-2012 : SAV des émissions sur Canal +.
2011 : Intouchables.
2016 : Demain tout commence.
Guillaume Gendron (Liberation)