PRESIDENTIELLE 2019 : LE VOTE « MAGIQUE » DE LA DIASPORA DE FRANCE

16 - Février - 2019

Samedi 9 février, le Bol d’or a des allures de QG de campagne. Derrière les vitrines opacifiées par des affiches orange à l’effigie d’Idrissa Seck, un des cinq candidats à l’élection présidentielle du Sénégal, le 32, rue de Laghouat, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, s’active. Une vingtaine de militants plient des tracts fraîchement imprimés en buvant l’ataya, ce thé à la menthe aux parfums subsahariens.
« Allez, on fait deux groupes ! Les jeunes vont tracter dans les foyers et, nous, on va voir les commerçants sénégalais du quartier », propose Madi Seydi, 38 ans, en éteignant son ordinateur. Cette responsable France de la communication pour la coalition Idy2019 avait soutenu l’ancien président Abdoulaye Wade en 2000 et en 2007. Cette fois, elle lance ses équipes dans les rues de Château-Rouge, le quartier africain de Paris, avec un seul mot d’ordre : voter ce 24 février pour le candidat Idrissa Seck et empêcher Macky Sall de remporter un second mandat.
Un statut symbolique de « grands électeurs »
Comme à chaque élection présidentielle depuis 1993, la campagne électorale passe par la France. Si les Sénégalais de l’étranger ne représentent qu’une faible proportion de l’électorat (4,63 %), ces votants sont néanmoins très courtisés. Avec 746 bureaux de vote ouverts dans 49 pays en 2019, le Sénégal est l’un des pays africains qui ouvre le plus ses scrutins à sa diaspora, explique le chercheur en sciences politiques Etienne Smith, dans un article intitulé « Sénégal, la diaspora fait-elle l’élection ? ». Les expatriés bénéficient même du statut symbolique de « grands électeurs », gagné grâce à leur poids économique supposé faire d’eux des prescripteurs de voix.

« La conscience politique des Sénégalais de l’extérieur est souvent forte car ils vivent dans des sociétés très informées et ouvertes, explique Seyni Gassama, acteur de la société civile et directeur d’Amnesty International Sénégal. La diaspora originaire du Sénégal oriental, du centre et du sud, entretient encore des liens profonds avec les parents restés au pays. Ils appellent la famille et le village pour leur dire de soutenir tel ou tel candidat. C’est ce que l’on nomme le ndiguel [consigne de vote] de la diaspora ».

C’est ce rôle de « financeur prescripteur » que tient Papa Lo Abdoulaye, un militant du candidat Idrissa Seck. « J’influence les proches à qui je donne de l’argent au pays en leur envoyant des photos de mon candidat via WhatsApp », admet-il. D’ailleurs, ce n’est pas nouveau, il a « toujours donné des consignes aux proches, cherché aussi à les conscientiser », lui qui avoue ne pas partager « toujours leur manière de faire de la politique au pays ».
Conscients du poids économique que représentent leurs ressortissants installés à l’étranger, puisqu’ils contribueraient à hauteur de 13 % à la richesse nationale, les candidats jouent beaucoup sur ce supposé rôle de « grands électeurs ». La logique est même parfois poussée à son extrême : « En 2007, le responsable de la coordination du Parti socialiste en France se targuait de faire battre le président sortant grâce aux voix des émigrés. Des “grands électeurs” dont l’impact serait multiplié par presque dix au Sénégal. Et cet effet multiplicateur est un leitmotiv des meetings dans la diaspora », explique Etienne Smith.
« La France vote Macky Sall »
Si le concept de « diaspora faiseuse de rois » reste à nuancer, les Sénégalais de l’étranger sont très attachés à leur citoyenneté transnationale et à son expression dans les urnes, comme en témoignent les taux de participation relativement élevés à chaque élection. Lors de la dernière présidentielle, en 2012, les premiers résultats du scrutin sont même venus de France, d’Italie et d’Espagne. « Le décalage horaire a fait que les bureaux de vote ont fermé plus tôt. Ces résultats sont parus en premier et ils étaient défavorables à la réélection d’Abdoulaye Wade, avance Seyni Gassama. Les analystes politiques ont rapidement conclu que c’en était fini pour lui. »

A Paris, alors que les militants de la coalition d’Idy2019 terminent leur journée de porte à porte en ce début février, un événement d’une autre envergure s’organise à 40 kilomètres de la capitale. C’est aux Mureaux, dans les Yvelines, que la majorité présidentielle de Macky Sall a décidé d’organiser, le 9 février, le grand meeting d’ouverture de sa campagne pour la diaspora. Sur les murs de la salle municipale dans laquelle 600 sièges ont été installés, le message est clair : « La France vote Macky Sall », rappelle une affiche.
Et si le président n’a pas pu se déplacer pour l’occasion, comme l’avaient fait certains candidats aux élections précédentes (en 2000, Abdoulaye Wade avait lancé sa campagne à Paris), plusieurs hauts responsables politiques sont présents dans la salle comme le conseiller du premier ministre Amadou Ciré Sall ou Diary Ba, originaire des Mureaux et aujourd’hui conseillère économique, sociale et environnementale de Macky Sall. A l’entrée, des femmes distribuent le programme du président candidat sur lequel ont été mises en avant les propositions de campagne spécifiquement pensées pour les Sénégalais de l’étranger.
Quinze députés pour la diaspora
Désormais, ils ont d’ailleurs une place décisionnaire à Dakar puisque, comme le rappelle Malick Faye, le porte-parole de la majorité présidentielle en France, « les ressortissants de l’étranger sont représentés à l’Assemblée nationale par quinze députés depuis le vote du référendum proposé par le président Macky Sall en 2018 ». Sept de ces huit nouvelles circonscriptions de l’étranger ont été emportées par la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY). « Il est clair que Macky Sall va bénéficier du vote de la diaspora pour ce scrutin, analyse Seyni Gassama. Mais des candidats comme Ousmane Sonko et Idrissa Seck ont aussi étendu leur campagne à l’étranger afin d’attirer ces électeurs. »

Alors que la salle commence à se remplir des militants arrivés par bus, le porte-parole de BBY se réjouit que la mobilisation des électeurs sénégalais de France soit conséquente, notamment grâce au maillage territorial des partis politiques qui disposent souvent de permanences locales dans les villes françaises à forte communauté sénégalaise. De la Normandie à la Côte d’Azur, en passant par l’Ile-de-France ou la Lorraine, la majorité présidentielle dispose de treize comités locaux, mobilisés aujourd’hui pour offrir un deuxième mandat à leur candidat. « La France est tout un symbole. Qui gagne ici, gagne au pays », veut croire Malick Faye.

Lemonde 

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