Queen Biz : Art et Engagement
18 - Avril - 2022
Les mélomanes se rappellent sans doute de l'une des plus belles chansons engagées du répertoire musical sénégalais dont l'auteure n'est personne d'autre que Queen Biz. "Walú" est une chanson contestataire et militante qui a fait connaître plus amplement l'artiste au public. Ce premier single a connu un grand succès parce que le texte était puissant, fidèle au contexte, le message fort, et le geste artistiquement noble.
L'art et l'engagement ne se séparent pas. Même le plus parnassien des artistes ne peut se passer d'une certaine forme d'engagement. L'originalité du début de carrière de Queen c'est qu'il nous apprend que le geste artistique n'est pas coupé, rompu du geste engagé. C'est le même geste qui nait d'abord d'un désir du beau qui se concrétise, se matérialise toujours dans une action, dans un engagement, dans un devoir de service qui prend forme progressivement dans la conscience de l'artiste. L'art ne peut pas ne pas s'immiscer dans la réalité socio-politique. L'art doit savoir prendre rendez-vous avec son époque pour ne pas rester vain.
Ce rendez-vous peut se prendre tardivement, parfois avec hésitation, parce que la relation de l'art et l'engagement est ambiguë et difficile, mais c'est une relation qui est condamnée à advenir chez l'artiste qu'il l'assume ou le dénie. Hugo disait en ce sens dans la Déclaration du 18 août 1859
" Fidèle à l'engagement que j'ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu'au bout l'exil de la liberté. Quand la liberté rentra, je rentrerai."
Cet engagement nait certes des conditions extérieures mais résonne intérieurement avant tout, dans la conscience. Et c'est toujours au nom de la liberté que la promesse de fidélité aux causes nobles se prend face au tribunal de la conscience qui ne laisse aucune autre issue que l'injonction qu'elle indique comme un devoir, qui s'apparente catégorique, mais se laisse harmoniser, affiner par la touche esthétique, de sorte qu'elle ne valse ni dans l'idéologie encore moins dans la démagogie.
Cet engagement doit se tenir toujours au près du Vrai, car c'est un engendrement, un prolongement du Beau qui dans un élan utopique se frotte au Réel. Cette ambition est peut-etre la mission ultime et idéale de l'Art. Elle n'est pas trop grande, elle n'est non plus vouée à l'échec dès le départ. Elle est sûrement une responsabilité lourde qui doit se porter à la guise de chaque artiste, avec les méthodes, les inspirations et les stratégies de chaque artiste.
Queen opte quant à elle pour le militantisme direct en mettant en place MJR (Mouvement des Jeunes pour la Rupture). Descendre des scènes et des podiums, déserter un moment des studios et des concerts pour se consacrer plus activement à son peuple est un sacrifice pas des plus moindres. Le temps de l'action transformatrice exige la même patience, et la même persévérance que celui d'une belle œuvre d'art. C'est faire don de soi à la patrie, comme l'artiste donnerait son âme à l'œuvre accomplie. C'est un investissement à renouveler sans cesse, comme l'artiste reprendrait sans relâche son œuvre inachevée. C'est une épuisante épreuve, comme l'artiste serait tenté d'abandonner son chef-œuvre en cours de production par éreintement.
Mais c'est un engagement possible, faisable, réalisable qui ne se regrette jamais, tant qu'il reste fidèle à ses origines et à ses fins.
Il ne vient que du Beau, et ne vise que le Bien, ici précisément le "Bien Commun".
La voix d'or aux mélodies de discothèque aboutit ainsi à l'espace du verbe d'une autre nature. Le verbe du militantisme souvent piégé par les effets néfastes de la rhétorique politicienne pervertit la voix de l'artiste qui se désubstantialise et s'adonne à la démagogie pour ainsi s'éloigner de ce pourquoi il est une Voix autorisée. On espère de Queen qu'elle garde cette âme d'artiste qui a donné naissance à "Waalù", cet esprit vif et ordonné qui a accouche le magnifique texte de "Waalù". Bref, que l'art demeure dans ce militantisme qui n'aurait peut-être pas vu le jour sans l'artiste qu'elle est. Peut-être bien, je vois dans cet engagement la continuité évanescente de "Waalù", qui est certainement toujours d'actualité.
Bon vent Queen!
Mafama Gueye
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