Seloua Luste Boulbina, philosophe :les indépendances « n’ont été conçues que pour le seul intérêt, présent et futur, du colonisateur »
« De façon générale, les colonies sont des bombes à retardement », a répondu Seloua Luste Boulbina, philosophe algéro-française, sur les désillusions qui ont succédé à l’enthousiasme des indépendances en Afrique, dans un entretien avec Le Monde. A l’en croire les indépendances « ne sont pas conçues pour le présent ou l’avenir du colonisé, dont la seule fonction est d’exécution. Elles n’ont été conçues que pour le seul intérêt, présent et futur, du colonisateur, le seul à jouir du privilège de la conception et de la décision. A Etat unique, parti unique. Après l’indépendance, toute opposition politique est éliminée, en particulier avec le soutien ou l’intervention des anciennes puissances coloniales. Les opposants aux régimes en place sont traités comme des ennemis de l’indépendance. Le schéma autoritaire est ici clairement hérité des pratiques et schémas coloniaux. En outre, hormis dans la frange nord de l’Afrique, où domine l’arabe, la population ne connaît ou du moins ne maîtrise pas la langue de l’Etat (français, anglais, portugais), non plus surtout que son langage, si ce n’est celui de la violence. Dans les anciennes colonies anglaises soumises au régime de l’indirect rule [l’exercice du pouvoir par délégation], les différences culturelles sont cristallisées, les « chefs par décret » (warrant chiefs), privilégiés, les différences entre islam et christianisme, creusées. Tel est l’héritage colonial ».
Seloua Luste Boulbina travaille sur les questions coloniales et postcoloniales dans leurs aspects politiques, intellectuels et artistiques. Elle a été attachée scientifique pour la recherche à l’Institut Pierre-Mendès-France (1989-1992), maîtresse de conférences à Sciences-Po Paris (1990-2005), directrice de programme au Collège international de philosophie (2010-2016), à Paris.
Lansana SYLLA