SUPPRESSION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE : UN GOUVERNEMENT SANS GOUVERNAIL

06 - Septembre - 2019

Le gouvernement n’existe plus, il est fictif. Le Conseil des ministres doit être rebaptisé Conseil du cabinet et le Sg du Gouvernement. Le dernier Conseil des ministres du mercredi 04 septembre a été marqué par une importante communication du président de la Ré- publique sur les inondations, la recrudescence des accidents de la route, la prochaine rentrée scolaire, etc. Bref, le Président Macky Sall est monté directement au créneau pour prendre en charge d’une manière particulière les préoccupations des Sénégalais. Pour certains, il est clair que les nombreux dysfonctionnements notés à l’occasion de la Tabaski, les inondations, la recrudescence des accidents et, surtout, le fait de nommer récemment le ministre en charge du Pse Dr Cheikh Kanté pour le monitoring du suivi des accords signés avec les centrales syndicales, dénotent d’un gouvernement qui cherche en vain son chef. Un gouvernement sans gouvernail pourrait-on dire depuis la suppression du poste de Premier ministre. D’ailleurs, on indique que depuis le départ de Boun Abdoulah Dione, il y a trop de confusions dans les symboles de la République. Le gouvernement supprimé, le Conseil des ministres doit être rebaptisé Conseil de cabinet, et le secrétaire général du gouvernement appelé « secrétaire du Conseil de cabinet ». Du fast-track, on tombe dans le fast-ralenti.

« Depuis combien de temps vous n’avez pas entendu la tenue de conseils interministériels sur de grandes questions ? Ces rencontres étaient organisées par le Premier ministre Mahammad Dionne, mais depuis qu’il est parti, il y a un vide institutionnel.

Le chef de l’Etat s’est rendu compte de son erreur puisqu’il est maintenant obligé de s’ex- poser. Du fast-track, on est au fast-ralenti » indique un haut cadre de l’administration sous l’anonymat. « Certains ministres ne voient le chef de l’Etat que lors du Conseil des ministres. Ces ministres sont laissés dans le désarroi le plus total. Cela ne garantit pas une certaine forme d’efficacité parce que sa- chant qu’ils n’ont pas une tutelle directe comme ce fut le cas lorsqu’il y avait Premier ministre qui pouvait les réajuster, les inter- peller à tout moment sur un certain nombre de situations avant de trancher. Maintenant il faut remonter jusqu’au chef de l’Etat. C’est compliqué. Ce fut une erreur catastrophique d’avoir supprimé le poste de Premier ministre. C’est comme si on a un gouvernement sans gouvernail» dit-il.

D’ailleurs notre interlocuteur, dans la même foulée, apprécie la nomination du ministre en charge du PSE comme chargé du monitoring avec les centrales syndicales. Un vide qu’il fallait combler rapidement, dit-il. Cependant est-ce que les rigueurs protocolaires ne pourraient pas empêcher le Dr Cheikh Kanté de s’ac- quitter de sa nouvelle mission ? « Cheikh Kanté est dans le rang protocolaire, mais il n’est pas dans ce qu’il convient d’appeler le gouvernement parce que la notion de gouvernement, dès lors qu’il n’y a plus de Premier ministre, n’existe pas. C’est vrai qu’il y a une hiérarchie au niveau des ministres, parce qu’il n’y a pas de ministres ayant un portefeuille d’Etat. Tous les ministres d’Etat qui le sont, sont rattachés au Cabinet. Il n’y a pas de département ministériel géré par un ministre d’Etat à l’exception de l’ancien Premier ministre Mahammad Dionne. Main- tenant le président de la République est le seul à diriger l’activité gouvernementale. A ce titre, il peut déléguer à chacun de ses ministres une activité qui, auparavant, relevait des compétences du Premier ministre. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a une relation d’autorité entre celui à qui il a délégué et les autres membres du gouvernement » explique notre interlocuteur.

Le cas Jean Collin

Le haut fonctionnaire appréciant les contours de la suppression du poste de Premier ministre de noter : « Il y a eu par le passé la suppression du poste de Premier ministres. Le Bureau organisation et méthode avait anticipé un peu les conséquences de la suppression du poste de Premier ministre. Pour deux raisons. Le président de la République voulait supprimer cette espèce de conflit de compétences, de leadership qu’il y avait entre les différents ministres qui pouvaient être des prétendants à la fonction de président de la République, d’une part. D’autre part aussi, ce qui avait surtout motivé cela, c’était la présence de Jean Collin qui était d’une importance telle qu’on ne pouvait pas en faire un Premier ministre pour des raisons qu’on pouvait comprendre. D’ailleurs on dit qu’à l’époque, feu Abdou Lakhat Mbacké, khalife général des Mourides, avait dit au président Diouf que Jean Collin était le meilleur choix parce que c’est quelqu’un qui ne prétendra jamais à diriger le pays. En faisant d’un ministre tout puissant secrétaire général de la Présidence, il assumait les mêmes fonctions qu’un Premier ministre. Reste à savoir maintenant si ce niveau de compétences dévolu à Jean Collin le sera pour le futur ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence de la République. On peut quitter le poste de Premier ministre et à travers un soutien institutionnel très puissant du président de la République, occuper un poste de ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence de la République et avoir le même pouvoir qu’un Premier ministre. C’est-à-dire que ce serait un prolongement de la fonction de Premier ministre, mais sous les habits d’un secrétaire général de la Présidence de la République ». Dysfonctionnements dus à l’absence du Pm « Certes les dysfonctionnements peuvent s’expliquer par l’absence prolongée de l’ancien Premier ministre. Mais on peut valable- ment se demander s’il y a une volonté du chef de l’Etat de donner au ministre d’Etat, Sg de la Présidence, tous les pouvoirs à l’image de Jean Collin sous Diouf. Je te donne juste un exemple. En matière de remanie- ment ministériel, le président Abdou Diouf choisissait juste les portefeuilles régaliens ; le reste c’est le ministre d’Etat qui faisait son choix. Donc c’est pour vous dire qu’au niveau de la compétence et de l’intervention, tout dépend de la confiance que le président donne à son ministre Secrétaire d’Etat à la Présidence. Est-ce qu’il en sera ainsi ? Je crois que Mahammad Dionne n’a pas encore évolué ou pris fonction de manière formelle à cause malheureusement de sa maladie. Mais si le président de la République lui avait donné les mêmes attributions, pouvoirs d’exécution et d’autorité que Jean Collin avait, il serait un autre Premier ministre intégrant tout simplement la fonction de secrétaire général de la Présidence de la République » précise notre interlocuteur ayant eu à servir à la Présidence en qualité de haut fonctionnaire.

La notion de gouvernement n’existe plus de manière formelle

« Fonctionnement du gouvernement après la suppression du poste de premier ministre. J’ai le sentiment, pour être honnête, qu’il y a une espèce de stagnation du fait que les rôles ne sont pas suffisamment déterminés. C’est un sentiment qu’on a parce que quand le président est absent, on ne sait pas véritablement qui est le patron de la maison. Et cela peut être à la limite en contradiction avec la mode fast-track. On tombe dans la mode fast-ralenti » souligne notre interlocuteur. Ce dernier, très à cheval sur les concepts de la République, décrie une sorte de confusion régnante depuis la suppression du poste de Premier ministre. « La notion de gouvernement n’existe plus de manière formelle. Par exemple, dés fois, quand le président de la Réplique dit en conseil des ministres que ‘’j’ai demandé au Gouvernement’’. La question qui de- vait s’imposer c’est ‘’de quel gouvernement? A qui vous l’avez demandé’’. Parce que s’il demande au gouvernement, cela peut être au secrétaire d’Etat ou au ministre d’Etat. Le gouvernement, c’est un concept qui devait être banni du vocabulaire gouvernemental. Pour être remplacé par quoi ? Lorsqu’on supprime le poste de premier ministre, de fait on supprime ce qu’on ap- pelle gouvernement. Et tous les ministres sont rattachés directe- ment au Président de la République. A l’époque, quand on a supprimé le poste de premier ministre, on ne parlait plus de conseil des ministres, mais de conseil de cabinet parce que tout le monde est au même niveau au cabinet du président de la République. A la limite, ce que le président de la République aurait dû faire, c’est de demander aux ministres concernés par l’instruction. Mais dès lors qu’il n’y a plus de hiérarchie, il ne peut pas demander au Premier ministre, à moins qu’il ne demande au ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence, de veiller à ce que… Ce qui veut dire que du point de vue sémantique, le poste de Premier ministre a disparu ; mais du point de vue des attributions, le ministre d’Etat demeure celui à qui on demande de faire des actions qui peuvent lui permettre d’être en-dessous des autres ministres » ajoute notre interlocuteur.

Le secrétaire général du Gouvernement doit être appelé secrétaire du conseil de cabinet

Les changements à opérer doivent aussi toucher le secrétaire général du Gouverne- ment. « On avait buté sur comment appeler le secrétaire général du Gouvernement. Mais aujourd’hui le gouvernement, c’est une notion fictive. Par commodité de langage, on l’appelle le gouvernement, mais il n’existe pas. Pour résoudre la question à l’époque, nous avions créé le poste de secrétaire du conseil des ministres. Alors que l’appellation la plus convenable, aurait dû être secrétaire du conseil de cabinet. Mais Abdou Diouf avait tranché pour maintenir le concept de secrétaire du conseil des ministres.

Le secrétaire général du gouvernement, aujourd’hui, aurait dû être appelé secrétaire du conseil des ministres, dès lors que le gouvernement, en tant que structure, a été supprimé par la Constitution. A l’époque, le secrétaire général du Gouvernement était accepté en conseil des ministres par simple convenance. Pour lui permettre d’assister aux débats. Mais il ne prenait pas la parole parce qu’il n’était pas membre du gouvernement. C’est le haut fonctionnaire qui est en interaction entre le gouvernement et les autres. C’est le point de passage des textes ; c’est lui qui devait veiller au respect du traitement de ces textes et l’activité du gouvernement si tant est que ce dernier existe » déclare notre consultant à la fois expérimenté et chevronné en matière d’administration centrale.

Le Témoin

 

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