TÉMOIGNAGE. « Partir et raconter. Une odyssée clandestine », de Mahmoud Traoré et Bruno Le Dantec
Prendre le temps de raconter, par le menu, les trois années qui lui ont été nécessaires pour parcourir le trajet qu’un touriste fait en trois heures. C’est ce qu’a entrepris Mahmoud Traoré, aidé de Bruno Le Dantec, qui a couché son aventure sur le papier : le Sénégal, l’Espagne, de 2002 à 2005.
Après la lecture de Partir et raconter, le mot « aventure » semble d’ailleurs un peu déplacé avec sa petite nuance d’exaltation. Point de griserie ici, et aucun enseignement dans ce long périple. Ou un seul peut-être : Mahmoud Traoré sait aujourd’hui deviner, mais au prix de combien de méchantes duperies, les intentions des gens à leur premier geste. Racisme, lâcheté, tromperie, voilà ce dont il a surtout fait l’expérience.
Narrées dans le détail, les scènes de cette vie sont cruelles : l’arrivée dans les villes étapes, les foyers sordides et payants, organisés par nationalité, les rumeurs, l’unique téléphone public, les petits boulots toujours plus rudes, l’argent qu’il faut donner partout, la faim, les blessures…
Le plus frappant reste la camaraderie, la solidarité des compagnons de fortune que Mahmoud Traoré rencontre, perd de vue et recroise à chaque étape. Le seul élan humain d’une tribulation qui se termine avec le passage en force de grillages, un assaut resté dans les mémoires pour avoir été fortement médiatisé. L’auteur, lui, était sur les grilles, chancelantes sous le poids des corps : « Encore aujourd’hui j’ai en tête le crissement des vêtements se déchirant sur les barbelés. »
Lemonde