Titres fonciers Keur Mbaye Fall: quand des décisions de justice sont piétinées par l’Administration

10 - Juin - 2021

​Cela fait dix-huit ans que la ville de Pikine a initié un projet de lotissement auquel ont adhéré treize familles, qui exploitaient depuis plusieurs décennies leurs vergers et fermes dans la localité de Kamb. Entretemps, la coopérative des habitants de Keur Mbaye Fall et celle des employés de l’Ucad ont eu des prétentions sur le site en brandissant deux décrets leur attribuant chacune dix hectares à Niakoulrap, localité située dans le département de Rufisque. Le différend a atterri au niveau de la justice. Le tribunal a débouté les « envahisseurs » aussi bien en première instance qu’en Appel suivant l’arrêt numéro 510 du 06 juillet 2009. Ces décisions sont devenues par la suite définitives à défaut d’un pourvoi en cassation dans les délais prévus par la loi. Pourtant, depuis lors, certaines personnes continuent les constructions irrégulières sur le site avec la complicité de l’administration, foulant au pied les décisions de justice.

Les propriétaires terriens du site de Kamb et le syndicat des travailleurs de l’hôpital Le Dantec ne savent plus à quel saint se vouer. Depuis 2003, ils courent derrière leurs parcelles de terrains. En vain. Plusieurs correspondances adressées au président de la République, Macky Sall, ainsi qu’au Médiateur de la République Alioune Badara Cissé, n’ont connu aucune suite. Pendant ce temps, des prédateurs fonciers continuent de vendre à tout-va des parcelles situées sur leurs terres avec la complicité de certaines autorités administratives des Domaines et de la Descos.

Une décision de justice snobée par l’administration
Pour régler la confusion née des décrets d’attribution du site, les deux camps avaient décidé d’aller devant la justice. Au terme de la procédure, les coopératives de Keur Mbaye Fall et de l’université ont été déboutées par le tribunal hors classe de Dakar statuant en première instance. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Dakar suivant l’arrêt numéro 510 du 06 juillet 2009.

Les deux parties n’ont pas jugé nécessaire d’aller en cassation dans les délais réglementaires. Ce qui fait que le jugement est devenu définitif. Hélas, en dépit des décisions de justice, des délinquants ont poursuivi les constructions irrégulières sur le site sans être inquiétés par la Descos et par les différentes brigades de gendarmerie dont l’assistance a été sollicitée à plusieurs reprises.

Cette attitude passive de ces commandants de brigade a été perçue par ces délinquants comme un signe d’encouragement à mépriser les décisions de justice rendues dans cette affaire. D’ailleurs, une correspondance datée du 07 aout 2013 a été adressée au Haut commandant de la gendarmerie et directeur de la Justice militaire d’alors pour, d’une part, l’informer de l’attitude suspecte de ses collaborateurs et, d’autre part, lui rappeler la nécessité de prendre les mesures idoines afin que l’Etat de droit soit préservé.

Le directeur de l’Enregistrement et du Timbre refuse de déférer à la convocation du juge
Devant cette situation confuse, le juge du tribunal hors classe de Dakar a estimé nécessaire de recourir, en septembre 2017, au directeur de l’Enregistrement et du Timbre avant de dire le droit. Le juge lui a demandé, entre autres, de se prononcer, sous serment préalablement prêté, sur les différents titres fonciers établis sur le site de Kamb et d’authentifier les titres et actes produits par les différentes parties.

Un délai de deux mois, à compter de la notification, lui avait été imparti pour déposer son rapport. Depuis lors, quatre années sont passées, plus de vingt reports d’audiences ont été enregistrés pour le même motif du non dépôt du rapport du directeur des Domaines.

Le jeu double de l’administration des Domaines
Certains faussaires, déjà condamnés par le tribunal hors classe de Dakar comme Allé Sène, Ousmane Ndiaye entre autres, ont pu obtenir des services des Domaines de Pikine la recevabilité d’actes ne revêtant aucune approbation de l’autorité administrative compétente et censés porter sur le TF 13071 DP.

De même, des agents de l’administration des Domaines de Rufisque se sont curieusement autorisés à procéder à une nouvelle immatriculation du terrain de Kamb, lequel se situe pourtant hors de leur domaine de compétence et figure déjà dans le livre foncier de Dagoudane-Pikine. Ces irrégularités commises de concert par les différents services de l’administration ne sont pas de nature à faciliter le règlement de ce litige.

L’Etat ne souhaite pas la démolition des constructions
Après plusieurs correspondances envoyées au chef de l’Etat (11 avril 2018 ; 08 janvier 2020) afin que les directives données depuis le 29 décembre 2014 aux véritables détenteurs de titres réguliers sur le site de Kamb soient rétablis dans leurs droits, force est de constater que ces instructions n’ont pas été exécutées.

Le gouverneur de la région de Dakar, Al Hassan Sall, et le préfet de Pikine avaient reçu certains membres du collectif et leur auraient fait comprendre que l’affaire ne peut pas être réglée par la justice. Mieux, avaient-ils insisté, l’Etat ne souhaite pas la démolition des constructions existantes mais préconise plutôt une solution administrative.

Le collectif des impactés a remis à cette occasion la liste des 704 attributaires des parcelles constituant le TF 13071 DP ainsi que l’état récapitulatif des parcelles occupées et celles ayant fait l’objet d’une indemnisation dans le cadre de la réalisation de l’autoroute de l’Avenir. D’autres réunions de concertation se sont tenues par la suite à la gouvernance de Dakar à l’initiative du gouverneur.

Les détenteurs de titres réguliers sur le TF 13071 DP, à l’exception du président de la coopérative du personnel de l’hôpital Aristide Le Dantec, n’ont pas été conviés à ces réunions. Ils ont déploré cette exclusion dans la recherche de la solution administrative préconisée ainsi que le traitement discriminatoire dont ils estiment être l’objet « sans fondement juridique ». Des échos de ces réunions font état de l’option retenue par l’administration et qui consisterait à annuler le TF 13071 DP, en créer un nouveau et y délivrer des titres aux occupants illégaux.

L’objectif visé par cette manière cavalière de traiter ce litige est d’absoudre autant les délits commis par certains agents de l’administration que ceux commis par des individus véreux qui se sont adonnés à des cessions illégales de parcelles. Qui avait dit que le foncier risque de faire imploser le pays ?, s'interroge Le Témoin.

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