Youssou N'Dour : « L'unité, c'est un rêve pour des millions d'Africains »

07 - Novembre - 2016

La star internationale est de retour avec son 34e album « Africa Rekk » : l'Afrique, un point c'est tout ! Il s'est confié au Point Afrique.

Youssou N'Dour, le roi du mbalax, revient en force avec un nouvel album mondial qu'il dédie à l'Afrique, porté par cette nouvelle dynamique culturelle dont il est l'un des acteurs principaux. Certes, ce n'est pas (vraiment) la première fois en près de 40 ans de carrière qu'il pousse un cri du cœur en direction du continent qui l'a vu naître et où il réside toujours, mais cette fois, il semble que le moment soit venu pour que le chanteur sénégalais dévoile en profondeur sa passion africaine... Et surtout qu'elle soit entendue comme telle. Car il y a bien quelque chose de différent : dans les sonorités, dans la rythmique, cette façon à la fois « root » propre au Sénégal et à l'Afrique de célébrer la musique sans pour autant passer à côté du message ou plutôt des messages criants de vérité dans un monde trouble. Idéaliste, assurément, oui, You, comme on le surnomme, l'est encore. Il rêve toujours d'une Afrique unie, du Caire à Dakar en passant par Kinshasa, à l'image des héros du continent noir, de ceux qui en ont bâti la modernité, l'historien Cheikh Anta Diop, le Ghanéen leader des indépendances Kwame Nkrumah, le militant sud-africain assassiné par l'apartheid Steve Biko, et, bien entendu, Nelson Mandela. Les institutions panafricaines souvent décriées, là encore, il y croit ! À la jeunesse avide d'espoir qui prend les bateaux vers l'Occident, l'artiste lance un appel à rester sur le continent, à se battre, mais plus comme avant. Car avec cette prise de conscience générale, tout reste à faire en Afrique, et le continent a bel et bien besoin de ces jeunes.

Pour aller plus loin dans le panafricanisme musical, Youssou a travaillé avec des artistes plus jeunes, plus urbains aussi, comme le Nigérian Spotless, frère de la star Tekno Miles, ou le producteur Hakim, né en Californie et basé en Gambie. On trouvera aussi au générique, Fally Ipupa « le DiCaprio de Kinshasa », « qui incarne cette Afrique où la tradition et la modernité se rejoignent », où les claviers, les machines, se marient au tama, au balafon ou au djembé. Le chant de Youssou N'Dour toujours intact fait le reste. Il s'est confié au Point Afrique avant son concert le 18 novembre prochain au Bataclan à Paris.

Le Point Afrique : Parlez-nous de ce nouvel album, Africa Rekk, comment est-il né ?

Youssou N'Dour : Africa Rekk veut dire « l'Afrique un point c'est tout ! » Pourquoi ? Parce que c'est un voyage dans la diversité africaine. Bien qu'on partage beaucoup de choses en Afrique, il existe une certaine diversité dans nos musiques, qui s'explique par les différences de traditions, de cultures et dans les langues. Et j'ai voulu faire un voyage : à partir du Sénégal pour toucher le reste du continent. Parce qu'il y a quelques années, j'ai eu à faire de nombreuses collaborations notamment avec des artistes anglo-saxons. Et donc, j'ai eu l'impression à un moment donné d'avoir un peu oublié de faire quelque chose avec le continent. Cet album, c'est aussi un clin d'œil à la jeunesse africaine, aux jeunes artistes qui incarnent aujourd'hui une musique africaine plus urbaine.

C'est important que ça arrive maintenant, parce que nous sommes dans une période où l'Afrique, malgré tout ce qu'on dit, tend vers un développement. Il n'y a qu'à voir notre population où 60 % des jeunes ont moins de 25 ans. Pour moi, c'est le moment opportun pour impulser et propulser cette démarche pour que le continent aille mieux.

Derrière cet album et le tube mondialement connu « Africa United », l'idée c'est le panafricanisme dans la musique ?

Oui, parce que je crois que « Africa United », c'est-à-dire l'Afrique unie, c'est un rêve partagé par des millions d'Africains. L'idée est que si nous sommes vraiment unis, on peut, au niveau de chaque pays s'entraider, car n'oublions pas que nous sommes 54 pays. Mais quand on est en Afrique, on ne s'en rend pas compte, car les difficultés sont immenses. Par exemple : voyager d'un pays à l'autre, c'est compliqué ! On est parfois obligé de passer même par les capitales occidentales avant d'atteindre un autre pays africain parfois situé juste à côté.

Donc, on est déjà confronté à des problèmes d'infrastructures, de connexions, il n'y a pas de routes pour joindre les pays. « Africa United » évoque tous ces sujets et c'est mon rêve. On interpelle énormément et de plus en plus l'Union africaine, qui est en train de proposer des réformes qui pourraient aller dans le sens de cette union de l'Afrique.

Alors, aujourd'hui, quand on parle de culture africaine et justement quand vous chantez « Africa United » est-ce qu'il y a une unité de cette culture ?

Il y a d'abord plusieurs langues, les langues, c'est extraordinaire, il y en a une multitude. Bien sûr qu'elles sont liées à nos cultures, nos traditions, elles font nos différences, mais il y a quand même des choses que nous partageons, comme la langue française, et autour de ça, il y a des choses différentes. C'est compliqué à expliquer, c'est pour ça que tout à l'air d'être en chantier, c'est le même constat que font les économistes, les personnes engagées, pour la culture aussi et si chacun joue son rôle on pourrait avoir une Afrique forte, avec toute cette diversité que je ne vois pas comme un obstacle, mais plutôt comme une richesse.

Justement, comment en tant qu'Africain peut-on faire pour tendre vers cette unité dans le quotidien ?

Il faut voir d'abord juste une carte. Cette carte magnifique, essayer de voir plus les richesses que nous avons, ensuite essayé d'échanger un plus entre nous. Il faut juste apprendre à reconnaître que cette différence n'est pas un problème.

C'est surtout comment retourner cela en fonction de l'objectif que nous avons. Et là, nous avons énormément à faire. Nous avons pratiquement tout à refaire, tandis que si on regarde vers l'Occident tout est fait déjà. Nous devons éduquer notre jeunesse, la mettre en confiance pour qu'à la fin de la journée, les jeunes ne se mettent à prendre des bateaux pour venir ici (en Occident, NDLR) dans les conditions que nous connaissons. Et de voir qu'en Afrique aussi, si vous avez les bonnes conditions vous pouvez vous sentir aussi bien au Caire qu'à Lomé, etc.

Dans ce nouvel album, vous avez choisi des thèmes musicaux, et des thèmes sociaux de l'autre, pourquoi ?

C'est un album beaucoup plus engagé. Ensuite, la chanson a toujours été pour moi, une manière de dénoncer, d'encourager, de donner des messages, ce n'est pas juste de parler des choses très jolies que je respecte, mais ici on est tellement engagé que parfois on se sent journaliste pratiquement. On encourage une chose, on en dénonce d' autres, et on voit aussi les problèmes que nous avons en tant qu'humain par exemple, je parle beaucoup d'amour de la manière de préserver l'amour entre les personnes, énormément de choses qui vont ensemble avec l'engagement. Le texte de la chanson « Exodus » en est un exemple. Je reconnais qu'il y a des choses qui manquent, mais en même temps je m'adresse à ces jeunes qui ont une certaine fougue, il faut reconnaître qu'ils osent pour avancer, eh bien dans les textes, je les encourage, comme sur le titre « Dawal » pour te dire « Sauve-toiloin des vautours et de tout ce qui pourrait nuire à l'amour. Préservez-vous pour vivre heureux, tout simplement. »

Vous avez souvent fait des albums pour le Sénégal, et des albums pour l'international, qui n'excluaient pas le Sénégal, quelle est l'essence de cette démarche ?

On peut d'abord parler de la richesse des langues, mais aussi des « limites », ce n'est peut-être pas le mot, mais nous sommes 13 millions au Sénégal, qui parlons le wolof. Si on a comme moi la possibilité de parler au monde, alors nous avons tout de suite un problème de langue. Ce qui appelle d'autres langues et dans la musique Sénégalaise, le mbalax dont on dit que je suis le roi, les rythmes sont des rythmes qui ne sont pas standards. Par exemple si je joue le mbalax et que vous parlez le wolof vous comprenez tout de suite, mais si vous ne parlez pas cette langue, vous n'allez pas vous y retrouver. Parce que le « 1 » qui est joué dans la rythmique standard n'existe pas dans le mbalax, on peut l'entendre en tant que Sénégalais wolof, mais on ne le joue pas en fait (c'est pour aider l'autre musicien, NDLR). Toutes ces questions techniques ont été soulevées dès le début de nos carrières, ça ne date donc pas d'aujourd'hui, et donc nous avons vu qu'il y avait un problème, parce que ça ne me concerne pas seulement, pour pouvoir prendre cette musique locale, roots, appréciée et écoutée et comprise par les Sénégalais. On a une ambition mondiale, vous voyez très bien qu'une chanson peut être remixée pour avoir la chance d'être écoutée par d'autres avec une autre langue, dans des rythmes un peu plus standards qui permettent aux autres de découvrir cette musique. Et pour mettre en œuvre toute cette technicité, on n'a pas eu de réunion pour dire « on va faire ça, ça ou ça », c'est venu naturellement.

Et puis quoi que je fasse, je reviens toujours au pays, tout me ramène au Sénégal, quoi que je fasse, c'est la source. Ce sont ces deux aspects qui ont m'ont amené à toujours proposer deux albums. Un album de mbalax pur et dur et puis un album plus ouvert, où les gens vont pouvoir aussi se retrouver. Le sens que je donne à tout cela, c'est qu'on peut venir d'un pays peut-être moins connu ou en tout cas moins peuplé, mais on peut conquérir le monde. On parle non pas de compromis, mais de réajustement pour mieux se faire comprendre. Mon ambition, c'est le Sénégal, mais aussi le monde.

Comment faites-vous encore pour vous adapter et collaborer avec des artistes d'univers divers, et surtout de la musique actuelle sans trahir justement ces messages engagés ?

C'est dans la tête ! Je pense qu'il faut d'abord reconnaître que ces dernières années les plus jeunes ont réussi quelque chose qu'il faut saluer. Au début, ils ont copié sur ce qui venait de l'extérieur, comme la musique américaine, mais aujourd'hui reconnaissons-le, les jeunes artistes africains ont trouvé des sonorités qui viennent du continent et nous on suit tout cela. Et ce qu'ils disent, c'est la même chose que moi, seule la manière diffère, mais le message est clair : une musique engagée.

Dernier album, ou pas, qu'est-ce qui peut émerger à côté pour vous ?

En tout cas, ce n'est pas la fin de ma carrière ! Je tiens à le clarifier. Il est vrai que c'est un album très personnel et engagé. En sept ans, j'ai voyagé dans ma tête et j'ai voulu le partager avec le cœur pour aller vers les cœurs de mes prochains. C'est un album qui porte un message fort pour l'Afrique, qui porte un regard sur le monde, avec des messages engagés, parfois politiques. Mais c'est vrai que c'est la première fois que je termine un album et que je n'ai pas tout de suite le suivant en tête, donc on peut l'interpréter comme on veut... Retenez juste que ce n'est pas la fin de ma carrière, je continuerai à faire de la musique, à me produire partout, pour le plus grand plaisir de mes fans.

* Youssou N'Dour, Africa Rekk, chez Sony music, novembre 2016.

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