Zemmour est un danger pour la France

17 - Septembre - 2021

Il est incompréhensible qu’en France du XXIe siècle, un journaliste qui se vante d’un «triomphe médiatique», puisse se permettre de dire et d’écrire des inepties régulièrement en se targuant de faire œuvre de science. Eric Zemmour est sans doute l’un des journalistes qui ont le plus contribué à la déstructuration du tissu social de la France.

Le fonds de commerce de son soi-disant succès médiatique : jouer à apeurer, à accuser l’autre -entendons-nous- le noir, l’émigré, les jeunes des banlieues, d’être la source de tous les maux en France, d’être à l’origine de la perte de la grandeur de la France. Zemmour est tellement exposé médiatiquement qu’il se prend pour un donneur de leçons, un grand-intello. Pour lui, la France est à genoux et les penseurs du multiculturalisme en sont les responsables. Rap­pelons son fameux accrochage avec Rokhaya Diallo sur la problématique des races. Zem­mour dit sans hésitation que les races se différencient par la couleur de peau en affirmant que lui appartenait à la race blanche tandis que Rokhaya Diallo appartenait à la race noire. Nous sommes au XXIe siècle, hélas il existe toujours des idiots de cette trempe. N’est-ce pas lui qui a été condamné pour avoir tenu des propos d’une vilénie indépassable ?
Analysant l’insécurité, et comme la problématique de la race est toujours présente chez lui, même quand il parle d’immigration, il affirme sans coup férir : «Pourquoi on est contrôlé dix-sept fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait.» Quelle bêtise, mais comme la bêtise fait œuvre de science, on laisse passer. Ces genres de propos qui dépassent l’entendement, pouvaient être considérés comme une façon de faire du buzz, du bad buzz, mais malheureusement tel ne semble pas être le cas pour celui qui aurait des ambitions présidentielles. En 2014, continuant dans sa logique immonde, il accuse les Roms, les Magré­bins, les Africains de bandes qui «dévalisent, violentent ou dépouillent» des Français dépassés, abasourdis. Pour faire face à cette situation, il faut s’attaquer à l’immigration à toutes formes d’immigrations ou procéder à une «déportation» des musulmans et mettre fin «au peuple dans le peule». N’en parlons pas de sa volonté politique de donner aux Français des noms authentiquement Français, Hapsatou, Mohammed ne seraient pas des noms compatibles avec les valeurs de sa République. Nous sommes en plein délire !

Zemmour qui a tendance à discourir sur les communautés, l’immigration, oublie que le repli identitaire est symbolisé par la peur de l’autre, par les manquements des politiques du vivre-ensemble. La peur de l’étranger, de l’autre, pousse au repli sur soi, au renfermement. La peur de l’autre et le désir de se renfermer, de créer un «nous» différent des autres sont les symboles d’une société en perte de vitesse et de repères. Le repli provoque la peur de l’autre, le déni de l’autre et de son histoire. Ce dont il s’agit, c’est de faire face à une société inévitablement multiculturelle au lieu de surfer sur les peurs, les exclusions, sur le fameux «on est chez nous» et les autres ce sont des envahisseurs. Il s’agit de mettre fin au renfermement, à la peur de l’autre qui n’est rien d’autre que moi en tant qu’autre.
Dans la France actuelle, la montée du racisme peut être systématiquement liée à des situations politiques, économiques ou culturelles. C’est un fait, il y a une «montée du racisme». Rappelons justement que durant les années soixante-dix, en Angleterre, la pauvreté, la désindustrialisation qui ont farouchement exacerbé les conflits intercommunautaires, ont favorisé le nationalisme, la mise en place de politiques répressives et l’indexation des peuples de couleur comme sujets agressifs et dangereux. La France semble, depuis quelques années, emprunter cette voie avec des politiques très coercitives pour l’accès à la nationalité, la poussée du Front national (actuellement Ras­sem­blement national), les bavures policières, les nombreuses politiques sécuritaires. Les clichés racistes, les actes d’agression insensés qui attestent de tels faits deviennent une réalité de la déstructuration de la société. Le lien entre la crise sociale, chômage, problèmes de scolarisation, problèmes des banlieues, et la peur des étrangers, est très complexe et étroit. Ce lien permet aux politiciens, aux têtes de gondole médiatiques, de surfer sur la peur, la méfiance et le danger que représenterait «l’autre». Ce racisme est le franchissement de certaines limites : le fait de réduire tout problème social en un problème lié à l’immigration. C’est une façon de transmettre l’idée selon laquelle, il faut exclure les immigrés gênants, ceux qui ne sont pas assimilables, afin de régler les problèmes concrets ou sociaux. Quelle fuite en avant ! On touche ici un aspect sur lequel se fonde aujourd’hui le racisme : cette faculté à maintenir des confusions, englober tous les problèmes et leur donner une unique explication : l’immigration. La catégorie d’immigré a ceci de péjoratif, elle a tendance à totalement fondre différentes nationalités, des sujets aux cultures et aux appartenances différentes en une unique appellation. En France, les Algériens, les Marocains, tous les Maghré­bins sont souvent appelés Arabes, une appellation réductrice et raciste et qui ouvre la porte à tous les stéréotypes racistes et insultants. Elle connecte beaucoup de thèmes malheureux, criminalité, islamisme, gangstérisme. L’im­migré est un mélange de tout (ethnie, culture) pour désigner l’étranger avec quelques petites différences : un immigré européen sera moins immigré qu’un Noir ou un Arabe. On voit par-là que la catégorie d’immigré n’a pas qu’un aspect homogénéisant. Cette catégorie d’immigré organise tout un ensemble de discours, de comportements, d’actions, et fait croire au sujet raciste que l’immigré est une chose à connaître. Ainsi nait l’illusion d’une communauté (pure) qui serait différente des autres communautés composées d’immigrés. M’ins­pirant des éclairées analyses de Balibar -sur la problématique du racisme en France- qui montre que la catégorie d’immigré a cette force de combiner stéréotypes racistes et peur d’une communauté, je le cite à juste titre : Nous découvrons ainsi, pour notre part, que dans la France actuelle «immigration» est devenue par excellence le nom de la race, nom nouveau mais fonctionnellement équivalent à l’appellation ancienne, de même qu’«immigrés» est la principale caractéristique permettant de ranger des individus dans une typologie raciste1.

La France est aujourd’hui confrontée à la mémoire coloniale, à sa propre histoire. Les blessures mémorielles ont du mal à se cicatriser et refont constamment surface. Il faut alors se réapproprier le passé colonial, au lieu de laisser la place à certains discours qui ont tendance à le nier et à limiter son importance. Cette situation peut créer des enfermements, des replis identitaires. La mémoire, le passé ne doivent nullement être confisqués ou instrumentalisés à des fins politiques ou politiciennes. Beaucoup de jeunes issus des immigrations postcoloniales éprouvent beaucoup de difficultés à s’intégrer, c’est un fait. La société française devrait se poser des questions sur cette jeunesse postcoloniale totalement à l’écart aussi bien sur le plan social que sur celui politique, au lieu de s’enliser dans des clôtures rigides, dans des questions d’identité nationale avec toutes les charges péjoratives que cela implique. L’islam est souvent utilisé pour expliquer cette situation. L’islam est devenu un monde fait de stéréotypes, de clichés. Cette situation conduit certains musulmans à s’enfermer. La méconnaissance de l’islam ajoutée à des discours politiques faits de clichés contribuent à faire de l’islam un danger vis-à-vis de l’Europe.
Le discours qui se dit laïc et républicain met d’ailleurs l’accent non sur ce qui doit unir, mais sur les différences, sur les oppositions et définit les communautés en fonction de leurs croyances religieuses, cultuelles, culturelles sans se soucier de la mise en place d’une citoyenneté qui prendrait en charge tout le monde, d’une citoyenneté inclusive. L’inté­gration n’est réussie et effective que si les différences sont acceptées, si l’histoire commune et plurielle est partagée et si l’égalité des chances est effective.

Il faut savoir que les immigrés postcoloniaux ont un rapport particulier à l’histoire, à leur histoire qui est aussi celle de la France. La France, c’est bien sûr leur Patrie, pas que celle de Zemmour, mais c’est aussi cette même France qui a exploité, colonisé et dominé leurs différents lieux d’origine. Cette histoire est alors diverse et faite de séquelles. C’est ce passé que la France a l’obligation d’intégrer dans sa lecture et son écriture de l’histoire. L’exclure, c’est exclure une partie de sa mémoire. Cette exclusion ne peut alors que conduire à des clôtures, à des enfermements. Il s’agit et il est important de garder en partage cette histoire commune, au lieu de la laisser entre des mains inexpertes telles que celles de Zemmour, de Marine Le Pen, de Alain Finkielkraut. Il faut sérieusement répondre et prendre en charge les revendications mémorielles de ceux qui ont subi les affres de la colonisation. Tout le monde se souvient des excentricités de la guerre d’Algérie (relire l’enfant banni Frantz Fanon). Or, en France des lois d’amnistie existent, qui interdisent des poursuites contre des auteurs des excentricités commises pendant la tuerie d’Algérie. Cet oubli de l’histoire crée des frustrations chez les jeunes issus des immigrations postcoloniales. La France ne doit pas être amnésique. Il faut reconstruire les mémoires sur certaines tragédies, la colonisation, l’esclavage, afin de construire une société plurielle où toutes les histoires sont communément partagées.
Certains enfants issus des émigrations postcoloniales veulent se réapproprier cette mémoire coloniale qu’on veut ranger dans les tiroirs de l’oubli. D’où l’urgence d’un vrai travail scientifique sur cette histoire, cette mémoire, la nécessité de transcender les craintes, les méfiances afin de progresser et de créer les conditions d’un véritable vivre-ensemble. L’histoire ne doit pas être sélective, les mémoires sont d’égale dignité. En France, c’est récemment que l’histoire de l’esclavage commence à être inscrite dans les programmes scolaires. Ce qui fait que l’oubli de l’histoire des colonisations, des immigrations postcoloniales a pu jouer un rôle sur la construction des identités. Même si nous ne sommes plus à l’époque coloniale, il faut aussi oser affirmer que certains faits, gestes continuent d’exister dans la société française actuelle. La France tarde à assumer l’héritage colonial, ce qui fait que beaucoup de proximités sont construites entre le présent postcolonial et le passé colonial, et éprouvées en termes de mépris, d’exclusion, d’humiliation.

Cette quête de mémoire, ce retour vers un passé est souvent lié à des défaillances politiques : ne voyant pas l’horizon s’éclaircir, beaucoup de jeunes des banlieues et issus des immigrations postcoloniales essaient de se retourner vers le passé de leurs origines, leur passé. Quand l’horizon n’est pas dégagé, l’avenir n’est pas prometteur, alors le passé refait surface et occupe une place importante, avec le risque de voir se répéter les anciennes oppositions.
Il faut reconnaître les héritages pluriels de la France, de tels héritages font la France, et leur reconnaissance peut être un moyen d’éviter les fermetures identitaires. Refuser de reconnaître l’héritage colonial de la France et de créer une identité nationale hétérogène conduit aux enfermements. La notion d’identité nationale doit être inclusive et non exclusive, au risque de créer des conflits d’héritages.
Evoquer l’héritage colonial de la France semble poser problème et encourager les replis communautaristes. Les réactions de dépit lors des modifications des programmes scolaires incluant maintenant l’enseignement de la colonisation et de l’esclavage montrent cette fâcheuse tendance à exclure de l’histoire de France de telles réalités. Il est important de prendre en charge des réalités qui ont eu un impact dès le XVe siècle sur l’histoire des peuples et qui constituent l’arrière-plan de tant d’héritages. On ne peut ainsi en France du XXIe siècle, oublier ces héritages au nom d’une identité nationale exclusive. L’identité n’est que la somme réunie de ces héritages et mémoires pluriels. Les im­migrés postcoloniaux symbolisant la richesse et la diversité des héritages de la France, on ne doit pas effacer leur histoire. L’idée d’une identité nationale qui ne prendrait pas en charge les héritages multiples de la France pousse naturellement aux enfermements identitaires. On peut être Français et s’appeler Moham­med, Hapsatou et Eric.
Ousmane SARR
enseignant-chercheur Ucad
1 Étienne Balibar « Racisme et crise » in Étienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1997, p.296.

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