Au Sénégal, un festival pour accompagner le renouveau du cinéma africain
Sur le chemin de l’école, non loin d’un village éthiopien, Hirut, 14 ans, est enlevée par des cavaliers. Ils répondent au « telefa », une coutume ancestrale qui veut qu’un homme kidnappe la femme qu’il souhaite épouser. Plus tard, en représailles d’un viol, Hirut tuera son ravisseur.
Cette scène du film éthiopien Difret, sorti en 2015, ne manque pas de faire frissonner les lycéennes de l’établissement d’excellence Mariama-Bâ, sur l’île de Gorée, au Sénégal. « À la fin du film, toutes les élèves ont applaudi pendant dix minutes. Même si l’Ethiopie est de l’autre côté du continent, le problème est similaire ici. Les jeunes filles craignent d’être soumises à des mariages forcés et de devoir quitter l’école », avance Martine Ndiaye, responsable du festival Films Femmes Afrique (FFA). En 2015, selon le Fonds des nations unies pour l’enfance (Unicef), plus de 30 % des Sénégalaises entre 20 et 24 ans avaient été mariées avant l’âge de 18 ans.
Education, environnement, handicap…
Porté par l’association sénégalaise Trait d’union, le festival FFA, dont c’est la troisième édition, a été créé pour aborder des problématiques socio-culturelles entre réalisateurs et spectateurs africains. « Nous avons pour but d’accueillir toutes les voix cinématographiques de l’Afrique afin de les faire résonner haut et fort », explique Martine Ndiaye. Cette année, la thématique choisie est l’éducation, mais le spectre est plus large : « Nous avons sélectionné 50 films qui couvrent des sujets aussi variés que l’environnement, le handicap ou l’inclusion sociale. »
L’objectif est double : faire découvrir le cinéma africain et sensibiliser les jeunes aux thématiques les concernant lors de débats après les projections. « Pendant longtemps, le cinéma africain était réalisé ou produit par des Européens et on avait plus de chances de voir les films tournés sur le continent à Paris qu’à Dakar, affirme l’organisatrice. Les jeunes n’allaient plus au cinéma et les salles avaient commencé à disparaître des capitales. »
Mais récemment, grâce à la démocratisation du matériel cinématographique numérique, une nouvelle génération de jeunes Africains a réussi à redonner vie à un septième art exsangue. « Nous avons reçu des dizaines de courts-métrages de jeunes réalisateurs tous très dynamiques », s’exclame Martine Ndiaye.
Des films comme La rue n’est pas ma mère, du Burkinabé Jérôme Yaméogo, sur un enfant des rues exploité dans une école coranique ; Wings of my Dreams, du Nigérian Ike Nnaebue, l’histoire d’une adolescente, marchande de poisson séché dans un bidonville, qui trouve son destin dans les livres ; Aya, de la Tunisienne Moufida Fedhila, qui conte l’histoire d’une fille de 7 ans se rebellant dans une famille salafiste ; ou encore Down Side Up, du Ghanéen Peter Owusu, sur un enfant pauvre qui aide les camarades de son quartier à faire leurs devoirs jusqu’au jour où il trouve le moyen de rejoindre lui aussi les bancs de l’école.
De nouvelles salles de cinéma ont ouvert
Afin d’amener le cinéma dans les quartiers et de le rendre accessible au plus grand nombre, les projections ont été organisées dans 27 lieux ouverts à travers Dakar. Des places publiques, des centres socioculturels, des écoles et même des salles de cinéma, alors que ces dernières avaient presque toutes disparu. Mais depuis deux ans, deux nouvelles salles ont ouvert leurs portes : le 37 Cinq en janvier 2016 et le Canal Olympia (du groupe Vivendi) en mai 2017. Et une troisième, le complexe Sembène-Ousmane, du nom d’un des plus grands réalisateurs sénégalais, décédé en 2007, doit être bientôt inaugurée.
« Nous arrivons au bon moment pour accompagner ce nouvel engouement pour le cinéma africain, affirme Martine Ndiaye. J’ai été surprise du nombre de jeunes de 20 ans qui m’ont dit que c’était la première fois qu’ils allaient voir un film sur grand écran. » Afin d’appuyer ce mouvement ascendant, le FFA a décidé de remettre cette année un prix du meilleur court-métrage, doté de 1 million de francs CFA (1 500 euros), afin d’aider un jeune cinéaste à trouver un producteur et à réaliser son premier long-métrage.
Cette année, la lauréate est une réalisatrice rwandaise, Marie-Clémentine Dusabejambo, 30 ans. Son troisième court-métrage, Une place pour moi, contant l’histoire d’Elikia, fillette albinos de 5 ans qui tente de se faire une place à l’école malgré les moqueries de ses camarades, a séduit le jury composé de lycéennes. Après les acclamations d’un public venu en nombre, le festival a quitté Dakar, dimanche 25 février, pour partir en tournée dans le reste pays pendant une semaine. Une étape fondamentale à l’accomplissement de sa mission : faire découvrir les films du continent à tous les Sénégalais, des villes comme des campagnes.
Lemonde