Ce qui pourrait changer dans la coopération entre le Sénégal et la France, après la fermeture de la base militaire française

06 - Janvier - 2025

Avec la fermeture annoncée des bases militaires françaises au Sénégal et en Côte d’Ivoire un symbole fort de la présence historique de Paris en Afrique de l’Ouest s’efface. Mais cette reconfiguration pourrait aussi être l’occasion de redéfinir les relations entre la France et le continent africain, en adoptant une approche plus équilibrée et respectueuse des aspirations locales.

Vers une coopération sans tutelle

Pendant des décennies, la présence militaire française au Sénégal a été perçue comme un outil de contrôle autant que de partenariat. La base militaire française, drastiquement réduite par Abdoulaye Wade en 2010, qui à l’origine était perçue comme un garant de stabilité nationale et levier d’influence stratégique pour la France, a fait l’objet ces dernières années, de critiques pour sa connotation néocoloniale. Sa fermeture définitive marque un tournant symbolique, répondant à une volonté du nouveau régime sénégalais d’exercer sa souveraineté.

Dans ce contexte, la France doit repenser sa coopération. Plutôt que de se concentrer sur une approche militaro-sécuritaire, Paris pourrait élargir son champ d’action à des domaines plus inclusifs et constructifs. L’éducation, les infrastructures, la culture et la transition énergétique apparaissent comme des axes stratégiques pour renforcer les liens entre les deux parties.

Réinventer le “mindset” des élites françaises pour un partenariat durable

Avec le retrait définitif de la présence militaire française en terre sénégalaise, la France fait face à un défi majeur : refonder ses liens avec un pays qui a beaucoup changé.

Abandonner les réflexes paternalistes

Pendant des décennies, la politique de la France au Sénégal s’est appuyée sur une relation asymétrique, marquée par un paternalisme latent. C’était l’époque. Elle s’est longtemps perçue et jusqu’à une période très récente, comme la « Métropole », voire le guide de cet ancien territoire colonisé. Cette posture est devenue obsolète dans un pays où l’affirmation de la souveraineté nationale et la diversité des partenariats internationaux sont des réalités incontournables. La méthode elle, perçue comme paternaliste et déconnectée des réalités locales, alimente les ressentiments.

Le changement de mentalité doit passer par une reconnaissance explicite de cette dynamique. Les élites françaises doivent se départir de l’idée que la France est indispensable à l’Afrique. Aujourd’hui, le discours qui s’entend de plus en plus, est qu’il est temps de traiter les pays africains comme des partenaires égaux et souverains, capables de prendre leurs propres décisions, même si celles-ci vont à l’encontre des intérêts français ou considérées comme telles.

Deux exemples qui méritent d’être cités.

En mars 2022, à l’ONU, le Sénégal avait fait réagir des observateurs français par son positionnement lors d’une résolution intitulée « Agression contre l’Ukraine », dont le texte exigeait « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine et retire immédiatement, complètement et sans condition, toutes ses forces militaires » d’Ukraine. Le Sénégal (comme 11 autres pays africains) s’était abstenu. En 2014, il avait adopté la même attitude, concernant la crise entre la Crimée et la Russie. Etait-ce une volonté de s’affirmer différemment sur la scène internationale ou un désir de calmer le jeu au niveau régional et local ? Voire. Quelques observateurs n’ont pas manqué de réagir, à l’image de Nicolas Henin (journaliste) , en postant sur son compte X : « Petit retournement du Sénégal, qui a finalement voté au Conseil des Droits de l’Homme en faveur d’une commission d’enquête internationale indépendante à la suite de l’agression de la Russie contre l’Ukraine », semblant ignorer que ce pays, même allié du bloc occidental et de la France en particulier, est resté dans sa logique d’adoption d’une stratégie de non-alignement depuis la guerre froide. Même s’il est arrivé que des répercussions économiques soient ressenties localement, il s’agit avant tout d’un conflit lointain qui se déroule hors du continent.

Une humilité face aux nouveaux équilibres géopolitiques

Les élites françaises doivent reconnaître que la puissance de la France au Sénégal a décliné. Partant de là, elle doit accepter des « nouvelles » alliances et ne pas considérer de telles décisions comme une trahison, mais un choix souverain dans un monde multipolaire. Adopter une posture humble face à cette réalité n’est pas un aveu de faiblesse, mais une preuve de maturité.

Cela implique de ne plus percevoir les partenaires du Sénégal (la Chine, la Russie, la Turquie principalement), uniquement comme des concurrents alors que les « souverainistes » ou « panafricains » selon la terminologie donnent l’impression de plaider pour un «France dégage » en lieu et place d’autres puissances. La France pourrait explorer des synergies dans des projets tripartites, où chaque partenaire contribue avec ses forces spécifiques.

Reconnaître les manquements du passé

Toute relation n’est durable que si elle repose sur la confiance. Et pour regagner la confiance, la France doit reconnaître pleinement ses erreurs historiques. Les stigmates de la colonisation, les pratiques opaques de la Françafrique et les interventions militaires controversées continuent de peser lourdement sur sa perception, dans la grande majorité de la jeunesse.

La restitution des œuvres d’art pillées, entamée mais encore incomplète, doit être accélérée et accompagnée d’une coopération renforcée avec les institutions culturelles. De même, la déclassification des archives liées à certaines périodes sensibles de l’histoire franco-sénégalaise serait un signal d’ouverture et de transparence.

Mais cette reconnaissance doit aller au-delà des symboles pour se traduire dans des politiques concrètes. La mise en place de programmes éducatifs conjoints pourrait permettre de construire une vision partagée et équilibrée de l’histoire.

Le nouveau partenariat gagnant-gagnant : l’après fermeture de la base française

Avec la fermeture définitive de la base militaire française de Dakar, le Sénégal amorce une redéfinition stratégique de ses partenariats internationaux. Ce tournant marque une volonté claire d’affirmer sa souveraineté tout en s’inscrivant dans des collaborations équitables et mutuellement bénéfiques. Mais qu’apporte réellement le Sénégal dans ce nouveau modèle de partenariat ?

Une position géostratégique incontournable

Situé à l’extrémité occidentale de l’Afrique, le Sénégal bénéficie d’une position géographique privilégiée, offrant un accès direct à l’Atlantique et constituant une porte d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest. Sa stabilité politique, dans une région parfois troublée, renforce son attractivité. Cette situation géographique confère au pays un rôle clé dans la sécurité maritime et le contrôle des routes commerciales.

Un modèle de stabilité démocratique

Depuis son indépendance en 1960, le Sénégal est perçu comme un modèle de démocratie en Afrique. Les trois alternances politiques et le respect des institutions, font du pays un partenaire fiable dans un monde où la stabilité politique est une denrée rare. Cette réputation renforce la capacité du Sénégal à jouer un rôle de médiateur dans les crises régionales et à promouvoir une gouvernance respectueuse des droits humains.

Des ressources naturelles en plein essor

La découverte récente de gisements de pétrole et de gaz place le Sénégal au cœur des enjeux énergétiques mondiaux. Ces ressources, encore sous-exploitées, constituent un atout majeur dans les nouveaux partenariats économiques, à condition qu’elles soient gérées de manière transparente et durable. Par ailleurs, le pays possède d’importantes réserves minières (phosphates, zircon) et une zone économique exclusive riche en ressources halieutiques, qui attirent des investisseurs désireux de tirer parti de cette manne.

Un hub économique et régional en construction

Avec Dakar comme hub économique et logistique, le Sénégal se positionne comme un centre névralgique pour le commerce et les affaires en Afrique de l’Ouest. Des projets ambitieux, tels que la Zone économique spéciale de Diamniadio et l’expansion du port de Dakar, bien que très fortement concurrencée par Abidjan et Cotonou, renforcent cette vision. Le pays attire encore des entreprises étrangères cherchant à établir des bases dans une région dynamique, tout en bénéficiant d’infrastructures et d’un environnement d’affaires que l’on cherche à améliorer d’une manière constante.

Une jeunesse dynamique et engagée

Avec une population majoritairement jeune, le Sénégal offre un potentiel humain considérable. Cette jeunesse constitue une force de travail compétitive et un vivier d’innovation, particulièrement dans les secteurs technologiques, culturels et entrepreneuriaux. Les partenaires internationaux trouvent dans cette vitalité démographique un levier pour développer des initiatives durables et inclusives.

Vers un partenariat plus équilibré

La fermeture de la base française reflète une tendance plus large au Sénégal : celle d’un rejet des relations néocoloniales au profit d’un partenariat basé sur le respect mutuel. Cependant, la vraie influence désormais appartient aux entreprises privées qui créent la richesse et dont certaines sont plus puissantes que l’Etat sénégalais lui-même. En guise de comparaison, au Sénégal opèrent des entreprises françaises qui pèsent, dit-on, pour 25% des recettes fiscales et près de 10% des emplois formels. Elles sont en concurrence désormais avec des sociétés chinoises, turques, indiennes, marocaines…

La vraie exigence pour les politiques publiques sénégalaises est de promouvoir un secteur privé suffisamment fort qui pourra concurrencer le privé étranger au nom d’une compétition ouverte qui est la principale valeur d’une économie libérale. Bander les muscles est une chose, avoir les moyens de son ambition souverainiste en est une autre. Dans ce rendez-vous de la mondialisation où chaque nation vient avec son avantage comparatif, qu’offre le Sénégal ? Des entreprises assez puissantes pour remporter des parts de marché ailleurs dans le monde ? Un marché de consommateurs suffisamment riche pour attirer des industries et des marques de luxe ? Des ressources naturelles foisonnantes ?

Le risque est de vendre le souverainisme jusqu’à opérer de mauvais choix économiques comme celui du rétablissement du visa d’entrée au nom de la réciprocité. Le Sénégal est un pays touristique. Le secteur constitue la deuxième source de devises de notre économie. Rendre difficile les conditions d’entrée dans le pays, courir le risque de failles techniques comme ce fut le cas en 2013 et en 2015 (avec les bugs des machines, les voyageurs à destination payaient mais les pannes faisaient qu’ils n’obtenaient ni le visa, ni le remboursement de leurs frais. Le système électronique de visa ne marchant qu’une fois sur quatre), peut avoir un impact négatif sur le tourisme.

Le discours souverainiste risque d’être vain s’il ne fait pas de l’économie, son moteur. Or, jusque-là, on reste sur des discours dénonçant l’influence politique française et qui relèvent d’une conception ancienne des relations internationales. L’urgence pour ces cinq prochaines années est de constituer un capital économique national pour avoir quelque chose à apporter dans la dynamique de co-construction que nous devons avoir avec le monde. Sinon le Sénégal continuera d’être un appendice, alors que le monde adopte une révolution extraordinaire avec la robotisation, l’Intelligence Artificielle et les énergies vertes.

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