LE SENEGAL S’EMBRASE, LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE SE MOBILISE
Les appels au calme et à l'arrêt des violences se sont succédé vendredi au Sénégal et à l'étranger après un déchaînement qui a poussé les autorités à déployer l'armée à Dakar, la capitale et qui fait craindre un embrasement en cas d'arrestation de l'opposant Ousmane Sonko, candidat à la présidentielle de 2024 condamné à de la prison ferme.
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a condamné la violence et « exhorté tous les acteurs à […] la retenue », a dit un porte-parole. Langage similaire de la part de la France, aux relations fortes avec le Sénégal et « extrêmement préoccupée » : Paris appelle « à cesser les violences et à résoudre cette crise, dans le respect de la longue tradition démocratique du Sénégal ».
La Communauté des États ouest-africains (Cédéao) a fait part de son « inquiétude » et appelé toutes les parties à « défendre la réputation louable du pays en tant que bastion de paix et de stabilité ». Pour le journal Walf Quotidien, il est on ne peut plus clair que le Sénégal, dont la démocratie et la stabilité sont citées un peu partout, « bascule dans la violence ».
Dangereuse effervescence
En effet, le Sénégal, réputé comme un rare îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest sans être exempt de troubles en période préélectorale, a connu jeudi l'une de ses pires journées de contestation depuis des années avec la mort de neuf personnes selon le ministère de l'Intérieur, à la suite de la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko – qui dirige le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef) – à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs.
Des heurts dispersés ont été signalés vendredi dans la capitale. La tension est restée élevée, dans l'incertitude du lendemain et l'indécision sur une arrestation ou non du plus farouche adversaire de l'actuel président Macky Sall.
D'après plusieurs sources dont l'Agence France-Presse, les autorités ont déployé des soldats en treillis et armes de guerre à Dakar, capitale quasiment paralysée, avec notamment deux blindés sur la place de l'Indépendance, à cinq minutes à pied du palais présidentiel. Le gouvernement a reconnu avoir restreint les accès aux réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou Twitter pour faire cesser selon lui « la diffusion de messages haineux et subversifs ».
Dans la crainte des saccages, les magasins sont restés fermés le long de rues entières portant encore les traces des violences de la veille.
À l'université, théâtre d'affrontements prolongés et d'importantes destructions jeudi, les étudiants ont reçu la consigne de partir et nombre d'entre eux ont quitté le campus. « Nous ne nous attendions pas à ça, les affaires politiques ne devraient pas nous concerner », a assuré à l'AFP, Babacar Ndiaye, étudiant de 26 ans. « Mais il y a injustice », a-t-il dit en parlant de la condamnation d'Ousmane Sonko, également, maire de Ziguinchor (sud), engagé depuis deux ans dans un bras de fer acharné avec le pouvoir pour sa survie judiciaire et politique.
Depuis, une trentaine de civils ont été tués dans des troubles largement liés à la situation de Sonko. Le pouvoir et le camp de l'opposant s'en rejettent mutuellement la faute.
Pour le journal sénégalais, EnQuête, c'est bien le verdict qui « a mis le feu aux poudres » dans plusieurs villes du pays, de Dakar à Ziguinchor en passant par Mbour, Saint-Louis etc.
Un rappel des faits
Acquitté jeudi des charges de viols et menaces de mort contre une employée d'un salon de beauté où il allait se faire masser entre 2020 et 2021, Ousmane Sonko a en revanche été condamné jeudi à deux ans de prison ferme pour avoir poussé à la « débauche » cette jeune femme de moins de 21 ans.
La condamnation paraît, au vu du Code électoral, entraîner l'inéligibilité du candidat déclaré, personnalité antisystème populaire parmi les jeunes et dans les milieux modestes en quête d'espoir et de changement dans un contexte économique éprouvant.
Ce dernier n'a cessé de nier les accusations en criant à la machination du pouvoir pour l'écarter de la présidentielle, ce que le pouvoir réfute. Il peut désormais être arrêté « à tout moment », a dit le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall. De son côté, Ousmane Sonko est bloqué, « séquestré » dit-il, chez lui dans la capitale par des forces de sécurité qui empêchent par la force quiconque de l'approcher.
La perspective de son arrestation alarme des Dakarois interrogés par l'AFP. « S'ils l'arrêtent, il faudra craindre le pire », dit Yankouba Sané, employé de l'université. « S'il y a une personne qui n'ira jamais en prison au Sénégal, c'est bien Ousmane Sonko. S'ils le défèrent, ils vont aggraver la situation », abondait Alioune Diop, commerçant de 46 ans.
La conférence de presse pour annoncer la liste des joueurs convoqués pour les prochains matchs de l'équipe nationale de football était remplacée par un communiqué. La fédération a reporté les matchs de championnat du week-end.
La star mondiale de foot Sadio Mané et le khalife général de Médina Baye, Serigne Mahi Ibrahim Niass, éminent dignitaire religieux, mais également, les acteurs de la société civile, comme Alioune Tine, le fondateur du Think tank Afrikajom Center, tous ont appelé à la paix.
La réponse sécuritaire des autorités leur a attiré les critiques. Amnesty International les a pressées de cesser les « arrestations arbitraires » et de lever les restrictions d'accès aux réseaux sociaux. « Les violences sociopolitiques ne doivent pas être prétexte à restreindre le droit d'informer », s'est émue l'ONG Reporters sans frontières.