Les ratés du décret n°2021-675 du 25 mai 2021 instituant les Pôles Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes (PEEJF) dans les départements (Par Mouhamadou Ngouda Mboup)

22 - Juin - 2021

Il est bien entendu, surtout dans ces périodes de croissance faible et de crise, que beaucoup de jeunes et femmes demandeurs d’emploi ou porteurs de projets ne se voient rien proposer et multiplient les démarches vaines sans que le service public de l’emploi ne les épaule vraiment. Le décret n°2021-675 du 25 mai 2021 instituant les Pôles Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes (PEEJF) dans les départements s’y prend de façon maladroite. Le but du décret est de réduire autant que faire se peut le chômage des jeunes et des femmes. Non point, évidemment, que les mesures qu’il comporte soient par elles-mêmes sans importance, il témoigne des ratés qui méritent d’être éclairés.

Un choix de la direction administrative discutable
En vertu de l’article 3 du décret n°2021-675 du 25 mai 2021 instituant les Pôles Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes (PEEJF) dans les départements : « Le PEEJF est chargé de promouvoir l’emploi et l’entreprenariat, dans une dynamique de mutualisation des interventions des structures d’appui technique et financier, de territorialisation des politiques publiques et de simplification des procédures administratives ». Du point de vue administratif, le PEEJF renvoie, au moins, à trois spécificités principales qui renseignent sur son gigantisme. D’abord, le PEEJF doit disposer de plusieurs agents, ce qui le positionnerait parmi les premiers employeurs de l’Etat. Ensuite, il est organisé en guichets uniques, regroupant un total de 46 départements, où sont représentées plus de neuf (09) structures et agences de l’Etat (article 2 du décret), proposant des services aux porteurs de projets et aux demandeurs d’emploi et de financement. Enfin, son budget annuel sera de plusieurs milliards de FCFA inscrit dans le budget du Ministère de l’emploi, de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’insertion (article 7 du décret). Au regard de ces différents éléments, le PEEJF pourrait être considéré comme le premier centre d’impulsion des politiques publiques de l’emploi, non seulement au niveau central, mais également au niveau déconcentré.

Toutefois, s’il convient en premier lieu d’exhumer les ratés du point de vue administratif, il est très soutenable de préciser que les rédacteurs du décret devront aller plus loin que la création de simples structures déconcentrées. D’abord, le PEEJF est directement rattaché au Ministère de l’emploi, de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’insertion sans aucune relation avec le Ministère du travail, du dialogue social et des relations avec les institutions ou encore le Ministère de l’artisanat et de la transformation du secteur informel. Ensuite, même s’il est prévu qu’il sera assisté par un coordonnateur technique nommé par arrêté du Ministre chargé de l’emploi (article 4 du décret), la justification de la direction de ces structures par le préfet est discutable. Les termes mêmes du décret incitent au choix d’une conception administrative fortement centralisée, vague, imprécise et donc décalée de ce qui relève des fonctions modernes de telles structures. Aux termes de l’article premier du décret n°2021-675 du 25 mai 2021 instituant les Pôles Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes (PEEJF) dans les départements, « Il est créé, au niveau de chaque département, un service public d’orientation, de conseil et d’accompagnement en matière d’Emploi, d’auto-emploi, d’insertion, de formation, d’appui technique, et de financement dénommé Pôle Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes (PEEJF)». Par ailleurs, l’article 4 précise que « le PEEJF est placé sous la direction du Préfet de département ». En fonction du profil de l’emploi, le directeur du PEEJF n’est pas un chef d’établissement administratif comme les autres, dans la mesure où il occupe un emploi susceptible d’être considéré comme atypique (technique et stratégique). Cet aspect se vérifie aussi bien à travers la nomination, qu’à travers le profil du titulaire de cet emploi (l’appel à candidature serait le meilleur garant d’un tel profil). La nomination du Préfet (directeur du PEEJF) est un évènement, qui dépasse largement le milieu administratif et technique, comme en attestent les considérations d’ordre politique, mais également d’ordre juridique. Mais, par ailleurs, le temps n’est plus aux politiques autoritaires et centralisées. Le directeur du PEEJF devrait forcément exercer une fonction stratégique et exposée. Elle peut être considérée comme stratégique pour au moins deux raisons. La première est que le directeur du PEEJF doit veiller à la bonne application de la politique de l’emploi et de l’entreprenariat dans les établissements dont il a la charge. La seconde est qu’il est le garant de l’excellence des résultats dont il est le symbole : à ce titre, il est celui qui doit faire en sorte que l’Etat tienne ses promesses et conserve sa réputation au niveau de chaque département. La fonction peut être considérée comme exposée, dès lors qu’elle est exercée de manière centralisée par une autorité déconcentrée, ce qui lui donne un relief administratif particulier. D’une part, elle n’est pas exercée à proximité des citoyens et est rattachée aux plus hautes autorités de l’État, notamment au ministère de la de l’emploi, de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’insertion. D’autre part, elle est exercée en dehors de l’implication des Collectivités territoriales, particulièrement par des services déconcentrés dirigés par le préfet. Dès lors, il convient de signaler que les marchés de l’emploi et de l’entreprenariat supposent de pouvoir agir au plus près des réalités du terrain et des bassins d’emplois ainsi que des potentialités entrepreneuriales. Ceci nécessite donc une large autonomie des acteurs sur le plan local.

Une fonction stratégique manquée
Au Sénégal, dans la détermination des orientations des politiques publiques, la tactique politique prend souvent le pas sur les considérations du long terme. Nous nous trouvons en face d’une structure qui, au nom du pragmatisme, risque de rater sa fonction stratégique. De plus, les missions et prérogatives du PEEJF restent très vagues. Tout devra être décidé au niveau central (la déconcentration étant une simple variante de la décentralisation) et non localement. Le flou stratégique qui entoure le concept de PEEJF pourrait nuire à son opérationnalité. Aux termes de l’article 3 du décret n°2021-675 du 25 mai 2021 instituant les Pôles Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes (PEEJF) dans les départements, « Le PEEJF est chargé de promouvoir l’emploi et l’entreprenariat, dans une dynamique de mutualisation des interventions des structures d’appui technique et financier, de territorialisation des politiques publiques et de simplification des procédures administratives ». Les dispositions arrêtées sont, au regard des objectifs proclamés, peu efficaces. La prospective des besoins fait douter qu’il soit opportun d’offrir uniquement aux demandeurs d’emploi des facilités et d’oublier les questions de l’aide au retour à l’emploi, de la durée du chômage, de la protection de l’emploi, du type d’emploi susceptible d’être proposé, de l’emploi valorisé, etc. Par ailleurs, le PEEJF risque de produire un effet très différent du « guichet unique » proposé (article 2 du décret). Pour justifier le « guichet unique », le décret se fonde sur la situation défavorable aux groupes vulnérables – jeunes, femmes – tout en oubliant les jeunes et femmes salariés ayant perdu leur emploi ou encore la question de la stabilité de l’emploi. Par ailleurs, le décret ne met pas en place une procédure préalable contradictoire ni de voies de recours offertes aux entrepreneurs demandeurs de financements ; les garanties qu’il offre à ce niveau paraissent très insuffisantes.

Mouhamadou Ngouda MBOUP

Enseignant-chercheur de droit public FSJP/UCAD

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