Tribunal Grande instance Dakar: le procès d’un citoyen tabassé se transforme en réquisitoire contre la Police !

10 - Novembre - 2020

Le nommé Mouhamadou Moustapha Ndiaye, âgé de 31 ans, agent commercial de la société « Si Belle » a comparu, lundi, à l’audience des flagrants délits du tribunal de grande instance (Tgi) de Dakar. Il répondait des faits de rébellion et outrage à agents dans l’exercice de leurs fonctions. La défense a déploré l’insécurité physique et mentale d’un citoyen agressé par des policiers qui devaient protéger sa sécurité.

Parce qu’il avait un air suspect, des policiers ont tabassé un citoyen jusqu’à lui briser les côtes. Les faits remontent au 27 octobre dernier à la Zone de Captage à Grand Yoff. Trois policiers du commissariat de Grand Yoff avaient tabassé jusqu’à briser les côtes du commercial Mouhamadou Moustapha Ndiaye. Le 02 novembre dernier, le tribunal avait accordé la liberté provisoire au prévenu et avait demandé la comparution des policiers pour un débat contradictoire.

Les trois policiers du commissariat de Grand Yoff, Silèye Mbodji (pas notre collaborateur !), Adama Ndiaye et Latyr Faye ont donc comparu, lundi, à l’audience du Tgi de Dakar. « C’est lors d’une patrouille à la Zone de Captage. Nous avons croisé leur voiture, il y avait deux personnes dans le véhicule et elles avaient l’air suspect. On a montré nos cartes de police, nous les avons fouillées et demandé de descendre du véhicule. Le prévenu est venu, il nous a trouvés entrain d’ouvrir son sac. Il a demandé ce que nous faisions avec son sac. Il disait que même si nous sommes de la police, nous n’avons pas le droit de fouiller son sac à son insu », ont raconté les policiers qui ont nié avoir tabassé le prévenu.

« J’ai surpris deux personnes en train d’ouvrir mon sac. Je leur ai demandé à trois reprises ce qu’elles faisaient tout en leur disant qu’elles n’ont pas le droit d’ouvrir mon sac à mon insu. Elles m’ont demandé de me taire si je ne voulais pas être battu. Lorsque j’ai demandé de quel droit elles se prévalent pour me battre, le policier Adama Ndiaye m’a giflé en me disant de me taire. Les individus m’ont enchaîné et ont commencé à me tabasser et à m’insulter. Je ne savais pas que c’étaient des policiers. Je n’ai pas vu de carte professionnelle ni de tenue de la police et je n’avais pas vu leur voiture. Si c’est la sécurité, ils sont là pour nous protéger. Les policiers m’avaient libéré, les gens ont quitté en masse le garage de Bignona pour intervenir disant que c’est de l’injustice. Je leur ai dit que je n’ai rien fait et qu’il faut qu’ils me conduisent jusqu’au commissariat pour éclaircir cette affaire. Ils m’ont embarqué et conduit au commissariat », a relaté le prévenu.

Libéré après sa déclaration parce qu’il a été blessé par des policiers, Mouhamadou Moustapha Ndiaye s’est rendu auprès du commissaire pour porter plainte. « Le commissaire m’a dit qu’il va régler l’affaire avec ses éléments qui n’ont pas le droit de brutaliser un prévenu. Un de ses éléments m’a conduit à l’hôpital, le médecin a constaté mes deux côtes cassées. Mon directeur commercial est parti acheter des médicaments. Le chef Hamdy m’a mis derrière la main-courante et il m’a remis un procès-verbal en me demandant de signer. J’ai refusé ne sachant pas quoi signer. Ils m’ont mis sous les verrous à 23 heures, et m’ont déféré le lendemain au parquet », a poursuivi le prévenu.
« On est de la même famille, mais même un citoyen simple ne frappe pas un policier sans raison. Des policiers qui devaient assurer la sécurité des citoyens n’ont pas le droit d’agir de cette manière. Aujourd’hui, s’il avait perdu la vie, vous alliez comparaitre devant la chambre criminelle », a sermonné le juge aux policiers.

Un agent de police n’a pas le droit d’aller seul en opération sans être accompagné d’un supérieur
Les témoins Boubacar Diallo et Tidiane Diallo ont confirmé les déclarations du prévenu tabassé par des policiers. D’après le substitut du procureur, les maîtres des poursuites sont mal à l’aise en tant que supérieurs des policiers. A l’en croire, la jurisprudence considère le véhicule comme un domicile. « S’il a trouvé les policiers en train de fouiller son sac, c’est parce qu’ils croyaient avoir affaire à des voleurs. Il faut qu’on change de démarche avec notre manière de procéder. On peut éviter cette situation », a soutenu le maître des poursuites qui a requis l’application de la loi pénale.

Les conseils de la défense ont plaidé le renvoi des fins de la poursuite de leur client qui devrait être partie civile. « Si vous êtes des policiers assermentés, vous ne pouvez pas nier que vous avez donné des coups au prévenu. On ne maitrise pas quelqu’un en donnant des coups. Les faits sont constants. Lorsque le commissaire l’a envoyé à l’hôpital pour ses blessures, et qu’il s’est trouvé qu’il avait les côtes cassées, vous avez su que les faits que vous avez commis sont graves. Vous l’avez déféré pour rébellion. Mais même s’il s’était rebellé, vous pouviez le maitriser sans le tabasser », a dénoncé Me Daff.

L’avocat a rappelé que la mission d’un agent de police est de seconder des officiers de police judiciaire dans l’exercice de leurs fonctions, de rendre compte de tous les délits, infractions et crimes. « La police a intérêt, elle-même, à assainir son personnel. Un agent de police n’a pas le droit d’aller seul en opération sans être accompagné d’un supérieur. Les dérives de la police existent et continuent de ternir l’image et la mission très noble de ce corps. Il y a des agents dans la police qui font un sale boulot qui sont là pour blesser, tabasser, torturer et déférer. La police doit respecter le droit des citoyens », a estimé Me Daff.

« Les trois agents de police ignorent leur mission et ils sont incapables de répondre et d’articuler une phrase correcte en français », a dénoncé la défense. Au terme de leur plaidoirie, les conseils de la défense ont soutenu qu’ils ne vont pas baisser les bras dans cette affaire qui oppose des policiers et un citoyen. Le tribunal a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite. En attendant que les policiers eux-mêmes comparaissent pour leurs actes !

Le Témoin

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