Qui est Mamadou Badio Camara, l'homme qui a sauvé le Sénégal qui filait inéluctablement vers une crise politique sans précédent l'année dernière
Ce jeudi 10 avril 2025, le Sénégal a perdu une figure éminente de son paysage judiciaire avec le décès de Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel. Âgé de 73 ans, cet ancien magistrat de haut rang, connu pour sa longue carrière et son rôle déterminant dans la préservation de l’État de droit, laisse derrière lui un héritage marqué par son passage à la tête de cette institution cruciale.
Né en 1952 à Dakar, Mamadou Badio Camara a suivi un parcours exemplaire dans le domaine judiciaire. Diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) en 1977, il a gravi les échelons de la justice sénégalaise, occupant des postes prestigieux tels que substitut du procureur de Dakar, procureur à Ziguinchor et Kaolack, puis premier président de la Cour suprême avant d’intégrer le Conseil constitutionnel en 2021. Nommé président de cette institution par décret présidentiel le 1er septembre 2022, il a succédé à Pape Oumar Sakho dans un contexte politique tendu.
Un rôle pivot lors de l’élection présidentielle de 2024
C’est surtout lors de l’élection présidentielle de 2024 que Mamadou Badio Camara et le Conseil constitutionnel qu’il dirigeait se sont imposés comme des acteurs incontournables de la démocratie sénégalaise. Cette élection, marquée par une crise politique sans précédent, a vu le Conseil jouer un rôle de rempart face aux tentatives de déstabilisation institutionnelle. En février 2024, lorsque le président Macky Sall avait tenté de reporter le scrutin initialement prévu le 25 février au 15 décembre, invoquant des irrégularités dans le processus électoral, le Conseil constitutionnel, sous la présidence de Camara, avait tranché avec fermeté. Le 15 février 2024, il avait déclaré inconstitutionnelle la loi votée par l’Assemblée nationale pour entériner ce report, annulant également le décret présidentiel abrogé par Sall. Cette décision historique a contraint les autorités à organiser l’élection le 24 mars 2024, avant la fin du mandat présidentiel le 2 avril.
Cette intervention a été saluée comme un acte de bravoure institutionnelle, garantissant la tenue d’un scrutin transparent et libre, qui a conduit à la victoire de Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour avec 54 % des voix. Lors de la cérémonie d’investiture, Mamadou Badio Camara avait souligné la résilience du peuple sénégalais et la solidité des institutions, déclarant : « Le secret est dans le bulletin de vote, dans la conviction des citoyens que leur voix peut changer leur destin, sous le contrôle d’une justice impartiale. »
Une figure controversée mais respectée
Malgré son rôle héroïque en 2024, Mamadou Badio Camara n’a pas toujours fait l’unanimité. Sa proximité présumée avec le pouvoir de Macky Sall, notamment lors de son passage à la Cour suprême où il avait été critiqué pour des décisions favorables au régime, avait alimenté les soupçons d’instrumentalisation judiciaire, notamment dans les affaires Khalifa Sall et Karim Wade. Son refus, en 2016, de déclarer son patrimoine, comme exigé par la loi, avait également terni son image auprès de certains défenseurs de la transparence.
Pourtant, son intégrité et son professionnalisme ont souvent été reconnus, même par ses détracteurs. En 2024, il a su démontrer que le Conseil constitutionnel pouvait agir en garant indépendant de la Constitution, loin des pressions politiques.